Les lamas de l'équilibre

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Le soleil disparut quelques secondes derrière les hautes montagnes du désert rocailleux, plongeant le monde dans la nuit la plus sombre qui soit.

Il ressurgit presque aussitôt, quelques secondes plus tard, teintant le ciel d'une délicate couleur rosée. Ici, le jour était quasiment éternel et ne laissait la place à la nuit que très peu de temps.

Une jeune lamate releva la tête en direction de l'astre étincelant, son pelage crème accrochant les rayons lumineux qui tombaient sur elle.

À ses pieds, une touffe d'herbe jaunâtre taquinait ses pattes repliées sous son corps, et elle la happa, constatant sans aucune surprise qu'elle était aussi fade que les autres plantes qui tapissaient ce vallon montagneux hors du temps.

La faim fit gargouiller son estomac et une brusque fatigue s'empara d'elle. Elle baissa à moitié ses paupières, ses longs cils filtrant la lumière qui l'agressait.

Luttant contre le sommeil qui l'envahissait, elle se releva sur ses longues pattes chancelantes et se mit en quête de son frère Yam.

Lui, avait une longue toison noire sur laquelle tous les lamas venaient s'extasier nuit et jour. Quoique l'expression ne soit pas très appropriée, puisque la nuit passait aussi vite que les crias disaient « saute-lama ».

Des deux jumeaux, c'était lui le plus apprécié, le plus drôle et le plus doué. Il pouvait faire sourire le plus grincheux et le plus vieux des dromadaires de la plaine, bien qu'ils aient quasiment tous été exterminés lors de la dernière Grande Chasse.

Elle était l'inverse de son frère. Elle disait tout ce qui lui passait par la tête, s'attirait toujours des ennuis et était terriblement maladroite.

La jeune lamate ne comprenait pas, puisque son pelage était écru. Elle représentait le bien alors, elle aurait dû avoir, elle aussi, toutes ses belles qualités.

Les boucles de son jumeau étaient d'un noir ténébreux, le même que celui qu'elle voyait dans ses cauchemars et qui l'effrayait. Il aurait dû échouer dans tout ce qu'il entreprenait. Comme quoi, la couleur du poil ne voulait rien dire.

Elle aurait tellement voulu que leur naissance ait été banale. Peut-être qu'alors, tout aurait été normal ?

Ils étaient nés au beau milieu d'une Grande Chasse, d'une nouvelle attaque des humains, alors que le peuple lama fuyait leurs assauts.

Qu'auraient-ils pu faire d'autre ? Charger ? Les deux tiers auraient été criblés de balles ou transpercés par une hache, un sabre ou toute autre lame tranchante.

Négocier ? Les humains ne connaissant visiblement pas ce mot. Ceux qui venaient à chaque fois étaient assoiffés de sang et de mort. Les derniers lamas qui s'y étaient risqués n'étaient jamais revenus.

Utiliser leur magie alors que c'était ce que les humains attendaient d'eux ? Elle était trop puissante pour qu'ils réussissent à la contrôler et ils auraient sûrement détruit le désert, le dernier refuge qui leur restait face à la haine des humains. La fuite restait la meilleure solution.

Et son frère Yam, toujours aussi curieux, avait eu la bonne idée de sortir du ventre de leur mère pour voir ce qui effrayait tant cette dernière.

Il avait réussi le miracle de faire fuir la majorité des hommes qui avaient hurlé de terreur devant ses yeux dorés et sa fourrure noire couverte du sang de l'accouchement. Les volutes blanches de magie flottant autour de lui les avaient encore plus effrayés. À quelques secondes, de vie, le petit cria était devenu un héros.

Et elle, en bonne petite dernière, était timidement sortie une fois que tout était fini, sans yeux dorés monstrueux ni volutes magiques. Elle était née sans que personne la remarque et ne fête sa naissance.

Le reste de la tribu avait mis plusieurs jours avant de voir cette petite lamate tremblante qui restait collée aux basques de sa mère. Celle-ci ne lui adressait même pas un regard et préférait veiller sur son frère.

Un flot de rancœur monta en elle à ce souvenir douloureux. Un coup de vent balaya la petite houppette de boucles sur son front et ses grands yeux bleus pétillèrent d'agacement.

Et puis, elle distingua des mots murmurés par la brise. Des mots brouillés et difficilement compréhensibles, certes, mais des mots.

Elle comprit alors que les dieux lamas, ceux qui l'avaient abandonnée à sa naissance, essayaient de communiquer avec elle, une petite lamate parfaitement insignifiante.

Un sentiment de joie et d'espoir se nicha dans son cœur en manque d'affection et éclata en petites bulles dans son corps, la revigorant. Son pas se fit plus énergique, son pelage paraissait plus luisant et lustré, et ses yeux clairs prirent une nuance azur, plus belle que l'acier bleuté qui y brillait habituellement.

— May !

Son frère surgit derrière elle et lui donna un petit coup de tête affectueux. La colère qu'elle ressentait habituellement pour lui s'estompa et laissa place à une sensation douce-amère sur sa langue.

— Salut Yam !

Après tout, ce n'était pas sa faute si les autres avaient décidé qu'elle ne valait pas la peine qu'on lui consacre un peu de temps. Et lui, était le seul à s'intéresser à elle.

Ses pensées vagabondèrent vers le ciel. Elle parlait distraitement à son frère tandis qu'elle songeait aux dieux lamas. Existaient-ils vraiment ? Ou ces mots chuchotés au creux de son oreille n'étaient-ils que le fruit de son imagination ?

Elle repensa aux histoires des temps anciens que sa grand-mère racontait à Yam, lorsqu'il était plus petit. Elle, était considérée comme ingrate pour les entendre, mais son frère s'empressait de les lui raconter, les yeux emplis d'étoiles.

Ces contes disaient qu'ils avaient un jour surgis du néant et s'étaient réveillés au royaume d'L. , des souvenirs plein la tête, qu'ils n'avaient jamais vécus.

À cette époque, les lamas et les humains, étant en accord, travaillaient ensemble, main dans la main et se soutenaient mutuellement.

C'était avant que certains humains décident qu'ils voulaient plus de pouvoir. Le peuple lama s'était opposé à eux et tout avait dégénéré.

La déesse d'L., divinité vénérée par chaque créature du royaume, chargea les lamas de protéger la magie et leur confia une parcelle de son pouvoir. Ils furent nommés gardiens de l'équilibre et naquirent désormais par paires, l'un représentant le mal et l'autre, le bien.

À chaque duo de lamas qui naissait, apportant joie et espoir, le pouvoir de la déesse se renforçait, gardant le royaume en sécurité.

Mais les humains, comprirent que si les lamas de l'équilibre disparaissaient, plus rien ne les empêcherait d'agir selon leur bon vouloir. C'est pour cela, que tous les deux ou trois ans, ils lançaient une nouvelle Grande Chasse aux trousses du peuple lama.

Beaucoup d'humains étaient pacifiques, mais trop timorés pour s'opposer aux hommes avides et beaux parleurs qui savaient enrôler les gens dans leur « quête de vérité ».

May espérait qu'un jour, ces guerres stupides cesseraient et que la paix retrouverait sa place au sein du royaume d'L.

Ce qu'elle ne savait pas, c'est que la déesse d'L., affaiblie par toute cette violence, lui avait confié une part de sa magie tant convoitée. Peut-être avait-elle une quelconque importance après tout...

Histoire d'L.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant