L'âme du luth

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Quelques notes s'égrènent dans le silence hivernal, dans le crépuscule à peine perceptible, dans la blancheur qui recouvre les flancs escarpés de la montagne enneigée.

Un chuchotement à peine perceptible dans le bruissement des aiguilles de pins et des feuilles de houx. Une mélodie tranquille, épargnée par le gel, ténue au milieu des oiseaux timides qui se font entendre. Des cristaux se forment sur les branches des résineux, des stalactites poussent en direction du sol.

Une hermine pointe le bout de son museau clair, tapie derrière un buisson de fougères congelées. C'est une jeune femelle à la splendide fourrure blanche et aux grands yeux noirs insondables, une mère en quête de nourriture pour sa toute première portée.

Elle hume l'air plein de vapeurs froides, de buées blanchâtres causées par la respiration des créatures de la forêt, cachées sous la neige et dans les hautes branches protectrices.

Un lièvre sort de l'ombre, à découvert en plein centre de la clairière enneigée, sa douce fourrure immaculée scintille sous le pâle soleil hivernal. Il reste immobile, aux aguets, peut-être sent-il le danger qui le guette.

L'hermine bondit hors de sa cachette, fait un roulé-boulé, saisit le rongeur entre ses crocs pointus et achève sa proie d'une morsure vive. L'insensible main de la mort s'est abattue sur l'animal, inerte entre les mâchoires acérées du carnivore, une ultime lueur de terreur au fond des prunelles.

Les yeux noirs du prédateur s'étrécissent brusquement, comme à l'affût d'un éventuel adversaire pour lui voler sa proie. Une odeur inhabituelle présente partout autour de lui et une drôle de poussière dorée flottent dans l'air.

La musique, jusque-là presque imperceptible, enfle, l'hermine se sent prise au piège dans cet instant qui semble se figer.

C'est alors qu'il est là, grand chat tacheté aux yeux verts, les pattes fermement plantées dans la neige, qui gonfle son poitrail et pousse un feulement furieux, comme pour lui reprocher la mort du lièvre. L'hermine est agitée de violents frissons et s'enfuit, abandonnant lâchement sa proie sur la poudreuse.

Une silhouette féminine jaillit de derrière les sapins aux branches alourdies par le poids de la neige. Sa robe dorée tournoie autour de ses jambes, ses cheveux blonds détachés lévitent autour de ses épaules, ses pieds nus s'enfoncent sans aucune crainte dans la neige.

Son regard révèle une force guerrière, une détermination sans limite derrière une fatigue conséquente à force de fuir. Ses doigts pincent les cordes d'un luth en bois de pin au beau manche sculpté.

La magie vibre au rythme des sons produits par l'instrument à cordes, la musique s'amplifie, portée par l'écho contre les rochers coupants dissimulés sous la couche de poudre blanche.

L'âme du luth, félin indomptable s'avance vers la musicienne avec un ronronnement aux accents chantants, il devine la générosité qui émane d'elle. La panthère des neiges fait rouler les muscles puissants de ses épaules et pose sa tête contre la jambe de la femme.

Perdue au milieu de la montagne, persécutée par les hommes qui souhaitent lui dérober son pouvoir, avec un luth enchanté en guise de compagnie, la déesse d'L. attend que la paix revienne dans son cher royaume.

Le léopard frotte affectueusement sa tête une dernière une fois contre elle, avant de s'évaporer dans une poussière dorée, se fondant à nouveau dans le manche sombre de l'instrument.

Poussant un profond soupir, la divinité laisse quelques dernières notes résonner avant de retourner s'enfouir dans les profondeurs hivernales de la toundra.

Histoire d'L.Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang