Interlude 4 : Le poids

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Lucie est allongée sur son lit-cabane, les paupières closes, pour ne pas avoir la lumière agressive des LED fixées à son mur dans les yeux.

Son casque licorne est vissé sur ses oreilles, la musique vibre entre ses tympans, estompe tous ses autres sens pour ne laisser que ce tempo callé sur ses battements de cœur trop rapides. Son téléphone est par terre, abandonné, passé en mode avion pour ne plus avoir à sentir l'inquiétude des autres peser sur elle.

La jeune fille ouvre les yeux en entendant la porte de sa chambre grincer. La tête de sa sœur se profile dans l'ouverture, alors elle fait mine de dormir, pour ne pas avoir à affronter les questions. Un chat gris en profite pour s'introduire dans la pièce à demi-plongée dans l'obscurité avant de bondir sur le lit de l'adolescente, tandis que la porte se referme presque silencieusement.

Lucie se redresse à moitié sur son coude, et dégage ses longs cheveux sombres de son champ de vision pour observer l'animal se tapir sur son ventre en ronronnant. Elle caresse son doux pelage pendant quelques minutes, plongeant peu à peu dans une douce somnolence.

Elle essaie d'ignorer la sensation qui lui indique que, pendant qu'elle se repose, les murs couverts de licornes et d'inscriptions bleues, roses et jaunes se rapprochent d'elle, l'enserrent. Elle ne se sent plus vraiment à sa place dans sa chambre, qui est pourtant, la pièce qui l'a vu grandir, elle et ses goûts en décoration, son rêve de devenir architecte se développer au fil des jours.

À vrai dire, la jeune fille ne se sent plus à sa place nulle part. Ce corps qui continue de changer, insensible aux quatre années qui ont rythmées sa vie depuis le début de sa puberté. Ces pensées qui ne lui appartiennent pas, cette sensation de toujours tout faire et tout dire de travers.

Une seule chose est immuable, ce sentiment d'angoisse et de ressentiment envers elle-même, de ne voir le chemin qui lui reste à parcourir que recouvert de ténèbres.

L'adolescente sursaute et se relève brusquement. Elle s'est endormie, une chose est sûre, à travers ses pensées lugubres, ses doigts posés sur la fourrure pelucheuse du chat de sa sœur, mais pendant combien de temps ?

La porte est ouverte, et la lumière se déverse dans sa chambre, vive, chaude et jaune. Elle s'apprête à envoyer Zoé bouler, elle ne veut pas la voir, elle ne veut personne d'ailleurs. Mais une autre silhouette se découpe devant elle, plus douce, plus ronde et plus maternelle.

Elle se tourne sur le côté, se roule en boule et se prépare tandis que Snow saute par terre sans bruit. Mais il n'y que de longues secondes qui s'écoulent sans mouvement avant qu'elle ne sente son matelas s'enfoncer sous le poids de quelqu'un d'autre.

Sa mère se penche vers elle, dégage les mèches brunes qui l'empêchent d'admirer le beau visage de sa fille. Son cœur se serre en remarquant que ses poings sont si serrés que ses jointures sont devenues blanches et que ses lèvres pâles sont pincées.

Elle voit les cernes violets, et les traînées de mascara sur ses joues, encore fraîches et mêlées de larmes. Elle regarde les non-dits, les barrières que l'adolescente a érigées entre elle et sa famille.

Elle sait que l'aînée de ses enfants, aimerait retrouver un peu de la complicité qui l'unit à sa cadette avant de partir s'installer avec son petit ami.

Alors, elle s'allonge derrière sa fille et glisse ses bras autour d'elle. Elle lui murmure des mots apaisants en caressant sa joue constellée de taches de rousseur du bout des doigts.

— Je sais que parfois, ça peut être dur de dire ce qu'on a sur le cœur. Mais ça peut aussi être douloureux, de garder nos difficultés enfermées à l'intérieur de nous. L'adolescence n'est pas toujours facile, mon poussin. Mais c'est ce qui la rend plus belle, de voir qu'on arrive à surmonter les émotions qui nous submergent et de passer les obstacles qui entravent notre route. Quoi que tu décides de faire, je suis là. Même si c'est pour te tenir contre moi et te dire que je t'aime, Lucie.

Elle se tait.

La jeune fille laisse les mots se loger dans son cœur, lui mettre un peu de pommade. Tout se bouscule en elle. Elle se retourne face à sa mère et blottit sa tête dans le creux de son cou.

— Merci Maman.

Histoire d'L.Donde viven las historias. Descúbrelo ahora