J'ai des humeurs étranges, des fois. Ce soir, j'ai envie de brûler quelque chose. Non, de brûler quelqu'un.
J'ai conscience que ça n'a pas trop de sens, ce que je ressens. Essayer de l'expliquer à quelqu'un, n'importe qui me vaudrait un aller simple dans un asile.
Comment l'expliquer, alors ? Je repense parfois à cette nuit, où j'ai tenté de me trancher le poignet. De m'infliger "la saignée", de me vider de mon mal-être. Sauf que je n'aime pas la douleur. Comme ma mère le dit, je suis un peu précieuse. Une putain de lâche, en d'autres mots. Bref, j'ai pas réussi. Comme la fois où j'avais tenté de me faire vomir. Je ne déteste pas la sensation de vomir, ou celle d'avoir faim, mais je déteste celle de mettre sa main dans sa bouche et de presser, pousser, insister, quand ça ne veut pas sortir. Je crois que je déteste insister, ou faire un effort. Mais ce que je ressentais, ces nuits où j'ai essayé de punir mon corps, c'est celle que je ressens cette nuit. Celle de vouloir brûler le monde.
Je fantasme la violence, alors qu'étrangement, j'ai envie de paix.
En bas, il y a encore des cris, des explosions de mots. D'habitude, la musique couvre le bruit. Mais ce soir, je ne veux pas couvrir, je veux ressentir. Le bruit, je ne veux plus le fuir. Il m'attire, et je suis en bas de l'escalier.
Il y a longtemps, en sixième je crois, j'avais fait théâtre. J'étais nulle, mais j'aimais prétendre le contraire. J'aime bien prétendre être naturellement douée, même quand je ne le suis pas. Mais ce n'est pas le sujet ; revenons au théâtre. Il y a plein de théorie, au théâtre. C'est assez intéressant quand on y pense parce que selon les écoles, un acteur choisira d'interpréter telle ou telle scène d'une façon particulière. Pas d'une façon personnelle, non, mais particulière, selon la théorie théâtrale qu'on lui a enseigné au tout début de sa carrière. La théorie du petit (il faut que les gestes soient minuscules, petits, pour ne pas qu'ils prennent la place sur le texte, l'intention est au cœur de tout, plus c'est gros moins c'est crédible, bla bla bla) ou la théorie sur l'espace, ou celle sur le mime (mimer, c'est apparemment un crime contre l'humanité), ou au contraire celle qui dit que tout doit être exagérée, démesurée, grand, énorme ; au final, la théorie qui nous marque le plus est celle qui finit par dicter notre jeu - et parfois notre vie entière. L'une des choses qui m'avait marqué, dans tous ces cours prétentieux et pourtant si géniaux, c'était que si on répétait trop de fois un mot, on en perdait le sens.
On a l'air con, sur scène, a répéter "Couteau. Couteau. Couteau. Couteau" mais déjà, après la cinquième fois, on oublie qu'on parle d'un couteau. On n'imagine plus l'instrument, on oublie qu'il découpe, coupe, charcute, assassine, tue. Couteau. Couteau. Couteau. Qu'est-ce qu'un couteau ? Couteau. Théâtre. Mise en scène. Théorie. Art. Performance. Bruit.
Je reviens au bruit. Le bruit d'en bas, qui est maintenant en face de moi. Ma mère, ma grand-mère, mon père pour arbitre, et moi avec le mot couteau en tête. Couteau.
Quand on y pense, couteau. Manche, lame, tranchant ? Couteau. Ça n'a pas de sens.
Et si je sors un couteau de ma manche, et que je me mets à hurler, "COUTEAU, COUTEAU", comment réagiraient-ils ? Comprendraient-ils qu'il s'agit du théâtre ? Qu'il s'agit d'une blague ? D'une vulgaire théorie ?
Je n'ai pas de couteau dans ma manche. Mais ? Si j'en avais un, juste là, dans ma manche ? Qu'est-ce que je ferais ? Je le sortirais ?
Je sors. Il vaut mieux que je sorte. Je claque la porte.
Le bruit (maman, papa, mamie) ne m'entend pas. Il ne réagit plus, ce bruit. Je suis à présent dans le silence. Je déteste le silence.
Une balade nocturne ? En plein silence ?
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Cruelle année
RomanceLe destin est une entité amusante, qui rit souvent de l'infortune des humains. Quand le destin fait se rencontrer Alex et Marcus, il leur joue là un cruel sort, car ni l'un ni l'autre ne peut s'aimer et ne doit s'aimer. L'une est élève, l'autre est...