Chapitre XXV : La Bohème

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Je ne ne nourris pas une grande passion pour l'hiver, mais j'adore le mois de décembre. C'est probablement ma part de gaminerie, ou mon côté consumériste, mais je suis particulièrement perméable à l'atmosphère magique due à l'euphorie qui règne sur le boulevard Haussmann. L'absence de neige cette année, la grisaille et l'air perpétuellement aigri de la plupart des Parisiens pourrait faire obstacle à ma joie infantile, mais c'était sans compter les décorations dont se sont parées les galeries Lafayette, un bonheur pour mes yeux. J'admire le sapin abondamment embelli, avant de passer à la caisse pour m'offrir un parfum et m'apprêter à rentrer chez moi tranquillement.

J'ai consacré mon mois de novembre à des choses utiles, notamment déménager de mon studio. Si je trouvais mon compte à l'étroit dans les 15 mètres carrés de mon appartement, il n'en était pas de même pour Owen, qui, en bon chat de gouttière, a besoin d'espace et de vagabondage.

J'ai trouvé un nouveau chez moi plus grand, situé non loin de Montmartre, un de mes quartiers favoris de Paris. Mon logement est entouré par deux adorables cours intérieures, dont l'une est située en contrebas de mon appartement, ornementée de jardinières qui fleuriront au printemps. Lorsque j'ouvre la fenêtre, Owen, bravant le froid, peut se balader à loisir sur les deux cours en toute liberté, longer les fenêtres des voisins ou observer les oiseaux à défaut de les chasser. Sa sécurité est assurée du fait des murs extérieurs hauts des bâtiments, qui l'empêche de se retrouver du côté de la rue. Je n'ai jamais vécu dans un endroit aussi calme et ravissant... j'ai hâte d'y prendre mes marques.

Après avoir défait de nombreux cartons, je m'apprête à ranger soigneusement mes vêtements dans mon vénéré dressing

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Après avoir défait de nombreux cartons, je m'apprête à ranger soigneusement mes vêtements dans mon vénéré dressing. On ne peut pas tout avoir et, comme tout les rez-de-chaussée, mon logement manque un peu de lumière. Je tente d'ouvrir les volets de la fenêtre de l'entrée, qui comportent un système de sécurité complexe. En effet, je suis installée depuis peu de temps et l'appart comporte encore des énigmes. D'autant que tout ce qui concerne de près ou de loin l'habitation est assez obscur pour moi. J'envoie une photo à Ageng afin qu'il puisse m'aider.

SMS

" Je n'ai aucune idée de comment ouvrir la fenêtre. "

Son SMS de réponse ne se fait pas tarder.

" Je ne sais pas non plus. "

Merde. Il pourrait faire un effort, il m'a dit hier soir qu'il était débrouillard ; il s'y connaît forcément mieux que moi, qui ait deux mains gauches, en dispositifs d'habitation. Je ne répond pas, déçue qu'il ne se creuse pas davantage la tête. La distance géographie est si étendue entre nous qu'il faut bien que je l'insère dans mon quotidien, y compris dans ses aspects les plus pragmatiques.

Je ne m'attendais pas à tomber si rapidement pour Ageng. Non pas qu'il manquerait de qualités, car il n'en manque pas. Non pas que je ne sois pas du genre à m'attacher très vite, c'est aussi le cas.

Mais notre rencontre est si récente. Depuis que je suis rentrée de Turquie il y a trois mois, pas un jour ne s'est passé sans que nous nous écrivions, et nous discutons en FaceTime chaque soir. Je m'endors chaque nuit et me réveille chaque jour avec un message de lui, m'emplissait d'un sentiment de sécurité que j'attendais depuis si longtemps. Certes, la relation à distance n'est pas le mode le plus simple ni le plus encouragé dans le spectre des relations sentimentales. Mais je pars du principe que l'on ne choisit pas qui l'on aime, cela arrive quand cela arrive, ça surprend, et si ça dure entre nous, nous ferons des choix en conséquence.

Pour le moment, je pense que j'ai juste envie de vivre mon histoire avec lui sans penser au lendemain. C'est la première fois que j'aime de cette manière, c'est à dire, avec une forme d'évidence. C'est la première fois que je ressent quelque chose d'aussi fort pour quelqu'un qui me ressemble, je crois.

Ageng est intellectuel, spirituel et honorable. Sinistre et tourmenté sous une gaieté de façade, dans ses côtés plus sombres. Il m'écoute et avec lui j'apprends. Ce n'est pas la passion qui brûle, malgré le fait qu'il y ait cette fameuse petite flamme, mais c'est, je le crois, simple et puissant. Quelque chose de l'ordre du filial, d'amical, comme s'il était mon amoureux et également, mon frère d'âme. Un truc complet. Ou presque.

Comme chaque soir, après ma journée de boulot et ma série, je le rappelle. Comme chaque soir, j'ai déjà deux appels manqués de lui, son impatience conforte la certitude que j'ai de ses sentiments pour moi, même s'il n'a pas encore prononcé les trois mots.

- Hello my angel.

LE visage apparaît à l'écran. Enfin, ma journée va se terminer sur la plus belle des notes. Je pensais que l'amour donnait des ailes, de l'énergie supplémentaire dans la vie de tous les jours. C'est vrai, je suis davantage performante au travail.  Mais quelle flemme aussi de traiter les dossiers, quelle hâte de rentrer chez soi lorsque l'on vit enfin quelque chose de beau, de réciproque. Tout paraît plus intéressant, mais ce que l'on dit moins, c'est que parfois tout nous ennuie plus facilement aussi. Il y a un empressement à précipiter la fin des rendez-vous professionnels, et même des moments entre amies, pour rejoindre l'élu, fut-ce-t-il loin.

- My angel ? Tu me prêtes des qualités qui touchent au divin, c'est beaucoup trop !

- Oh allez, ce n'est pas la première fois que je surnomme comme ça. Depuis que je te connais, je n'ai pas ressenti le sentiment de colère qui me caractérise habituellement. C'est pour ça que je te compare à un ange, je pense. Ça et ton innocence, je crois que c'est à cause de cette qualité que je ressens quelque chose pour toi.

- Mon innocence ? A quoi tu vois ça ?

Je le vois rire derrière son écran. Il s'est allongé sur le divan de la réception, qui lui sert accessoirement de lit lorsqu'il est responsable de l'accueil de nuit.

- Tu vois, tu poses tout le temps des questions... Comme une enfant.

Les flammes pluriellesWhere stories live. Discover now