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Élie

Même à plus de 600km de toi, j'arrive à voir que tu te dégonfles ! Pousse la porte de ta nouvelle vie tout de suite ou je viens te botter le cul !!! Allez, je suis de tout cœur avec toi 💪💪💪💜💜💜


Ma meilleure amie me connait par cœur. Je prends une grande inspiration avant de pousser la lourde porte de mon nouveau lycée. J'ai bien failli me tuer plusieurs fois sur le trajet, ce qui n'est pas très bon signe, même si on est en plein mois de janvier et que, forcément, la glace qui recouvre les trottoirs peut être potentiellement mortelle pour à peu près tout le monde. À part ceux qui sont trop agiles et maîtres de leurs corps pour ne serait-ce que glisser.

Emmitouflé sous une quantité étouffante de vêtements, je m'engouffre dans le hall. J'ai l'impression que mon écharpe s'enroule autour de mon cou comme un serpent et j'ai beau tirer dessus pour essayer de respirer, elle refuse de m'obéir. De toute évidence, le bâtiment est chauffé - beaucoup trop chauffé, et j'ignore comment je vais pouvoir survivre à cette journée sans m'évanouir.


Alix

J'appellerais plus ça du sadisme que de l'amour 💔 Je ne vais jamais survivre à cette journée. Mon écharpe essaye déjà de mettre fin à mon calvaire en m'étranglant impunément... Prions pour qu'elle réussisse 🙏


Élie

Il faut toujours que tu exagères... Tu survivras ! Tu m'appelles ce soir, je veux TOUT savoir. Et reste pas dans ton coin. Je te vois essayer de te camoufler comme un putain de caméléon 👀 💜


Je rase les murs, le visage rivé sur mon téléphone pour ne pas avoir à affronter les centaines de regards que je sens sur moi. Débarquer en milieu d'année implique forcément ce genre d'attention. Et l'attention, ce n'est pas ma tasse de thé. J'aime l'idée d'être invisible.

Je fourre ma main dans mon sac pour attraper mon emploi du temps. La journée commence plutôt bien avec une heure de littérature. C'est déjà ça. Contraint de lever le nez de mon sac pour trouver la salle de cours, mon regard croise un groupe d'élèves qui rit et se bouscule. L'angoisse. L'un d'eux lance un : « Arrête de me toucher, j'suis pas pédé » et je frissonne. Même s'il est clairement en train de rire avec son ami, je ne peux m'empêcher de penser que l'humour n'est qu'un prétexte pour dire ce que l'on pense d'une manière plus politiquement correcte. Il n'est peut-être pas homophobe, peut-être que c'est vraiment juste pour rire. Ou peut-être pas. Peut-être qu'il a vraiment un problème avec les pédés. Je me suis arrêté de marcher pour le fixer sans même m'en rendre compte.

— Est-ce qu'il y a un problème ? me demande un garçon du groupe.

Je secoue la tête vivement et me sens rougir. Je serre davantage mon emploi du temps entre mes doigts.

— C'est toi le nouveau, nan ? demande le potentiel homophobe.

Je hoche la tête, incapable d'aligner deux mots. Une fille s'approche de moi et m'arrache mon emploi du temps des mains.

— T'es perdu ? Tu veux que je t'accompagne ?

— Euh... je ne veux pas t'embêter, je vais... me débrouiller, articulé-je en reprenant mon emploi du temps. Merci.

Je prends mes jambes à mon cou, comme je le fais toujours. J'essaie de maintenir une respiration stable, mais je me sens de plus en plus angoissé. Je traverse les couloirs en évitant de toucher qui que ce soit. Je bute plusieurs fois dans les pieds d'élèves assis par terre et dois jouer des coudes pour ne pas rester coincé au milieu d'un groupe plus que bruyant.

Malgré tout, je parviens à trouver ma salle de classe avant la première sonnerie. Ce lycée est plus petit que Sainte-Lucile, où j'allais avant. Mais ça ne m'empêche pas de me sentir - un tout petit peu - submergé par le bourdonnement ambiant. Bon, d'accord, j'ai envie de m'enfuir en courant et ne jamais regarder en arrière. Même si ça implique une défenestration pour atteindre mon objectif plus rapidement.

J'entends la voix irritante de ma meilleure amie Élie dans ma tête : « Il faut toujours que tu exagères », gnagnagna. Et elle a totalement raison, ce qui est encore plus irritant.

La porte s'ouvre sur une femme d'une cinquantaine d'année. Elle est mince, coupe au carré, des lunettes énormes vissées sur son nez aquilin. Comme aucun élève ne semble remarquer sa présence, elle se racle la gorge.

— Pour ceux qui se seraient ennuyés de moi pendant les vacances, je vous invite à aller vous asseoir. Pour les autres... dépêchez-vous, je n'ai pas envie d'avoir à crier de si bon matin.

Une élève proteste sur le fait que la sonnerie n'a pas encore retenti mais elle s'engouffre quand même dans la salle en lançant un regard nonchalant à la professeure. Je ne veux pas être dans les premiers à entrer pour ne pas être catégorisé de lèche-cul dès le premier jour, mais il ne faut pas non plus que j'attende trop longtemps, sinon tout le monde aura le temps de me remarquer.

Je baisse la tête et marche d'un pas déterminé vers le fond de la salle. Je jette mon corps sur la chaise aux pieds en acier, qui grince sous mon poids. Je visse mon regard sur le bureau en contreplaqué gravé d'insultes en tout genre. Un élève s'assoit à côté de moi et je me recroqueville sur ma chaise.

— Salut.

— Euh... salut.

La professeure referme la porte après la dernière élève et frappe du poing sur son bureau dans l'espoir d'obtenir le silence. Elle doit s'y reprendre à plusieurs fois, mais le bourdonnement finit par s'essouffler. Puis ce que je redoute depuis des semaines se produit.

— Vous n'êtes pas sans savoir qu'aujourd'hui, nous accueillons un nouvel élève.

Elle baisse les yeux sur la feuille de présence posée sur son bureau en chuchotant mon nom puis cherche un visage inconnu dans l'océan d'élèves.

— Ah, Alix Clément ! dit-elle en posant son regard sur mes boucles blondes. Tu es là.

Je broie mes cuisses de mes ongles coupés courts.

— Est-ce que tu veux bien venir au tableau et te présenter en quelques mots ?

Je secoue vivement la tête.

— Ne sois pas timide, insiste-t-elle en descendant de l'estrade dans un grincement qui me fait grimacer.

Élie est une menteuse. Rien ne va bien se passer. J'ai de plus en plus chaud. Mon visage est en feu. J'ai envie de creuser un trou suffisamment grand pour m'y enterrer et ne jamais plus en sortir. Mon voisin de table me donne un coup de coude. Je me tourne vers lui par automatisme et le regrette immédiatement.

— Bon, reprend la professeure. Ce n'est pas grave. Je vais faire l'appel alors soyez attentifs et ne perdons pas plus de temps.

Les chuchotements reprennent. Et moi, je me fais violence pour ne pas dévisager mon voisin de table au look parfait et au regard magnétique.

On both sides [MxM]Where stories live. Discover now