Chapitre XXXIX - Être-ange

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Le samedi suivant, les membres de l'équipe se retrouvèrent dans les vestiaires en effervescence. Bourdonnements de voix agitées, derniers rappels, pluie de conseils et d'ordres en tous genres, l'ensemble noyé par la musique projetée par une petite enceinte. Elias réprima une hésitation en dénudant ses avant-bras. Les cicatrices brillaient. Il croisa le regard de Liam posé dessus et, avec un sursaut, il s'empressa de les couvrir. Il était encore trop tôt — il serait toujours trop tôt — pour dévoiler à un autre que le garçon du miroir les accès de faiblesse et de haine qui l'animèrent deux ans auparavant.

La voix de Jay cessa de déblatérer ses recommandations alors qu'il s'apprêtait à aborder le placement des joueurs pour le premier quart-temps. Ses yeux acérés détaillèrent les joueurs un à un.

« Où est Walter ? dit-il en dévisageant Liam, qui haussa les épaules.

— Je ne l'ai pas vu depuis qu'il est parti de l'entraînement, mercredi. J'ai essayé de l'appeler mais il n'a pas décroché. »

Victor, cloitré dans la sécurité éphémère de sa chambre. Victor au corps torturé, à l'esprit brisé, au cœur broyé. Victor avait vu les appels, pelotonné sous ses couvertures, la cigarette entre les lèvres. Il les avait ignorés. Peur, encore, régissait ses actes. Elle avait ordonné de l'isoler. Peur craignait que Karl ne criât, qu'il ne frappât à la porte, que quiconque ne l'entendît à travers le combiné. Elle appréhendait qu'on découvrît les plaies sur le visage. Il était rare que son visage morflât. Son père restait prudent. L'alcool le rendait précautionneux. Mais cette fois, il s'était déchainé sous l'emprise de la sobriété.

Jay claqua la langue en repoussant les cheveux qui tombaient sur son front d'un geste rageur. Son regard balaya de nouveau ses coéquipiers. Méprisant, le regard.

« Personne ne sait s'il compte venir ? » dit-il en se figeant encore sur Liam.

Tous secouèrent la tête. Il fallait dire que le jeune homme aux cheveux verts demeurait discret. Pas un mot, pas un geste, pas une respiration de trop ; il se fondait dans le décor. On ne le remarquait pas davantage sur le terrain. Il se coulait dans le moule sans faire de vague. Il s'enfermait dans ses livres et ses silences. On ne le connaissait pas, Victor. Il ne se laissait pas découvrir.

« Il me le paiera. »

Jay enfila une genouillère avant de reprendre.

« Joe, tu prends sa place. Ailier fort, tu sauras faire ? »

Il n'attendit pas de réponse, saisit gourde et serviette et quitta le vestiaire d'un pas vif. L'heure avançait, les matchs commenceraient bientôt. Yan glissa une paire d'écouteurs dans ses oreilles et sortit à son tour, reclus dans sa bulle de concentration. Les autres joueurs rejoignirent le terrain pour s'échauffer. Un peu en retrait, Elias traînait des pieds dans les couloirs. Le dernier match... Il soupira et interrompit son trajet par un crochet aux toilettes.

« Tu ne comptes toujours pas te suicider, rassure-moi ? »

La voix froide d'Eden hérissa les poils de sa nuque. Il apparaissait dans le miroir, un rictus moqueur sur le visage. Il s'adossait à un mur. Ce jour-là, pourtant, son indolence ne le dérangea pas. Elias se contenta d'un bref sourire et retourna à la bataille contre ses cheveux indomptables.

« Tu n'as pas l'air particulièrement excité par la finale », dit l'ange en approchant, la démarche feutrée.

Son protégé remarqua ses pupilles dilatées. Elles l'étaient en permanence.

« Pas spécialement. Je me fiche de gagner, je crois.

— Vraiment ?

— Je te l'ai déjà dit, non ? Je me fiche d'être le plus fort, j'ai appris à me relever malgré la chute. Ne pas rester à terre, c'est le plus important.

Eden - Le Temps ne s'arrêtera pasWhere stories live. Discover now