Le Duc

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Livia parla de cette histoire de Duc à la Comtesse qui ne semblait pas étonnée : elle avait déjà vu cet homme obèse dans sa caravane tirée par un cheval.

− Il se fait appeler le Duc ? Le duc de quoi ?

− Il avait peut être un domaine, suggéra Livia. Un domaine comme le vôtre, à quelques lieues d'ici.

− Tu as vu la taille de cet homme ? Il est aussi gros qu'un bœuf. S'il était un noble pour quelles raisons aurait-il accepté de subir les expériences de Mère Miranda ?

− Pour les mêmes raisons que vous. Il était peut être malade.

Alcina ne répondit pas : elle en avait oublié sa maladie. Elle avait oublié qu'elle avait risqué la mort et que Livia avait été là pour la sauver.

Une année passa, neuf filles s'étaient succédé après Lois dans le cellier. Ingrid et Michaela n'avaient jamais su quoi que ce soit. Et puis un jour, ce qui devait arriver arriva : il y eut un accident. Alcina était seule dans le petit salon, les triplets jouaient dans le château et Livia était dans ses appartements. Daniela et Cassandra entrèrent en trombe dans le salon, affolées, tremblantes et du sang plein les mains.

− Mère !

− Mère !

− Où est Bela ? demanda immédiatement Alcina en se redressant dans son fauteuil.

− Mère, répéta Daniela les larmes aux yeux. Il y a eu un accident...

− Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda-t-elle plus fort en posant son livre. Où est votre sœur ?

− Mère, bredouilla Cassandra sans pouvoir continuer.

Cassandra fondit en larmes en prenant son visage dans ses mains. Daniela se précipita pour la prendre contre elle et elles reculèrent en voyant leur immense mère se lever.

− Où vous étiez ? Où ça s'est passé ?

− C'est... c'est dans votre chambre...

Alcina se précipita dans sa chambre mais elle resta figée sur le pas de la porte. Elle ne comprenait pas ce qu'elle voyait. Elle était incapable de comprendre la scène qui se déroulait devant ses yeux. Livia était étendue au sol, sur le tapis au pied de son lit. Bela était agenouillée devant elle, elle pleurait en tremblant, se balançant d'avant en arrière.

− Bela, murmura Alcina. Dis moi que tu vas bien.

− Mère... J'ai fait une bêtise...

− Qu'est ce qu'il s'est passé, Bela ? demanda-t-elle en pressant une main sur son ventre. Bela ?

Bela se retourna de moitié, ses mains rouge de sang figées dans un spasme qui les faisait ressembler à des serres. Ses larmes avaient tracé des sillons blancs à travers le sang qui recouvrait sa bouche, son menton et sa gorge. Sa poitrine se soulevait convulsivement, perçant sa respiration de gémissement saccadés.

− Mère...

Alcina parvint enfin à avancer. Elle savait. Elle n'avait pas besoin de regarder, elle le savait. Elle savait ce qu'il s'était passé et elle savait qu'elle ne pourrait rien y faire. Elle tendit les bras à sa fille qui se jeta contre ses jambes et fondit en larmes. La Comtesse posa les yeux sur le corps de Livia : sans vie. Le teint cireux, elle avait la gorge déchiquetée, le buste lacéré. Son visage au regard éteint ne semblait pourtant pas triste mais soulagé. Lorsqu'elle se rendit compte de ce que cela signifiait : que Livia ne lui parlerai plus jamais, qu'elle ne lui apporterai plus jamais de verre de vin, qu'elle ne viendrait plus jamais la réveiller ; lorsqu'elle se rendit compte qu'elle avait perdue sa seule amie, Alcina s'effondra. Jamais elle n'aurait pensé ressentir autant de tristesse et de désespoir. Jamais elle n'aurait pensé perdre Livia. Elle la croyait immortelle, elle l'imaginait éternelle. Mais Livia n'était plus. Plus jamais sa voix ne retentirait dans cet immense château si vide. Plus jamais personne ne s'occuperai d'elle comme Livia l'avait fait. Plus rien n'avait de sens à présent.

L'enfer est pavéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant