1. Le maraudeur

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J'avançais seul dans la nuit, me frayant un passage entre les carcasses rouillées des machines abandonnées de la décharge. Quelques bruits d'éboulement et des cris de rats rompaient parfois la monotonie du trajet. Il me fallait revenir discrètement des périphéries de la capitale sans me faire repérer des patrouilleurs de l'aube.

L'entrée de la ville souterraine n'était plus si loin. Encore quelques mètres, avant d'atteindre la chaleur d'un sous-sol sombre. Le lieu des miséreux, des estropiés... la lie d'une société inégalitaire, que je préférais abandonner le temps d'escapades nocturnes.

J'énumérais en boucle, pour me distraire, la liste des priorités : quitter l'Infra-ville, abandonner mon activité de voleur, arrêter de vivre de rapines médiocres et de petits larcins... et par-dessus tout : sauver enfin Cristal.

Enfin, je m'enfonçai dans un tunnel, éclairé par la lumière blafarde des ampoules de mauvaise qualité. Les poulies crissèrent au bout du couloir : une nacelle de bois et de fer se balançait déjà sous mes yeux. En sautant à bord, le bruit sourd des rouages grinçant à l'extrême, signala ma descente. Mon bras mécanique suintait sous ma chemise jaunie par la crasse. Il fallait le faire réparer de toute urgence.

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CHAPITRE 1 : L'atelier

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Jerasel fit la moue à la vue du piston, déformé sous la pression des écrous latéraux.

« Ton coude va finir en miettes ! Tu devrais penser à changer de modèle. Les nouveautés ne sont plus si chères. On compte à présent six cadences supplémentaires de rotation. Essaie d'y penser ! Ou alors change de métier : maraudeur, ça ne correspond pas à la mécanique à rétro-pression. »

Je souriais faussement entre deux réglages. Le vieux mécano me ferait la morale même en agonisant. Il y prendrait un plaisir que seuls les ingénieurs passionnés peuvent avoir à la vue d'une machinerie à réparer de fond en comble. Il se prenait pour un de ces dieux d'avant la guerre civile.

Peu m'importe ! pensai-je.

Penché sur mon bras, la lunette grossissante vissée à même l'orbite de son unique œil humain, l'ingénieur détaillait les dégâts de la nuit précédente :

« Milice rouge, marmonna-t-il sans attendre une quelconque réponse. Bien sûr ! Qui d'autre pouvait mettre un bras de ferrine en charpie ?», continua-t-il blasé.

Le liquide terrasonique s'échappait légèrement des tuyaux de cuivre du coude, gouttant sur le sol de terre battue. Je fixais la flaque sans réagir.

« Parfois, je regrette que ce ne soit pas du sang, dis-je. Du sang rouge. Avec de la douleur. Pas beaucoup, juste un peu... comme celle que les Full Human peuvent ressentir. »

Le liquide laissa une trace sombre sur l'établi.

« Je sais pourquoi tu ne veux pas changer ton bras... souffla Jérasel. Mais à ce rythme, c'est de l'inconscience... Range ta fierté, petit ! Personne ici ne te jugera si tu bascules dans le camp des Half. Tu n'en es déjà plus très loin. »

Je restai muet. Aucune envie de partir dans ces discussions philosophiques.

Je savais que le vieil ingénieur avait raison. Tous les « Half Human » étaient des demi-corps, des impurs, des rafistolés - pour des raisons de survie, jamais d'esthétique. Mais, mon cœur d'humain était tout ce qui me restait de ma vie à la surface, avant qu'on ne m'en chasse, alors renoncer à cette partie de moi serait renoncer à mon âme, ou juste à ce qui me restait de fierté.

J'espérais encore secrètement retourner là- haut, quand les critères d'immigration de la Capitale seraient moins stricts.

Les Full auraient toujours besoin de nous : pour servir dans leurs demeures, dans leurs ateliers, leurs échoppes, leurs gares. Ils trouvaient déjà de moins en moins d'esclaves non-mécanisés pour conduire leurs aéronefs, laver les sols de leurs maisons richement décorées. Ils auront un jour besoin de moi et je sortirai de cette ville décrépie et sous-terraine. Si mon bras est mécanisé, le reste de mon corps est toujours humain. Changer pour un nouveau modèle, impliquerait un pompage de liquide terrasonique plus conséquent et donc forcément un remplacement de mon cœur de chair et de sang, pour un automatisme performant. Je ne l'accepterai jamais.

Jérasel prit un monocle à triple foyer pour contempler son travail de réparation. La lumière d'une ampoule qui oscillait au plafond, se refléta sur le fer de son arcane sourcilier et ses cernes bien humaines démarrant à l'aile de son nez de cuivre.

Je pus enfin me lever et fis tourner mon bras à trois-cent-soixante degrés autour de l'axe du coude. C'était peu naturel, mais si pratique. La prochaine fois, la milice rouge ne m'aurait pas.

Je déposai sur l'établi un sac d'écrous de cuivre, récupérés cette nuit de mes cambriolages à la surface. Le vieil ingénieur soupira de bonheur à l'idée de ce qu'il allait en faire. Ces écrous si fins, si délicats, était en ce moment de vrais trésors pour les Sous-Faciens. Seuls les artisans du dessus possédaient encore le savoir de leur création.

« Tu es un bon client ! affirma l'ingénieur.

- Le meilleur !

- Mais, je suis un bon réparateur, siffla-t-il aussitôt

- Le meilleur aussi ! »

En sortant de la cave de l'artisan, je vis la lumière verte, tombant en pluie faiblarde depuis le lampadaire de la ruelle. La lumière du soleil me manquait. Elle nous manquait à tous, à tel point qu'elle n'était plus qu'un fantasme pour la plupart. Comme un lointain souvenir pour les anciens et un mythe pour la nouvelle génération, née ici, dans la ville du sous-sol. Des poètes populaires aimaient encore à décrire cette lumière comme un bienfait merveilleux. On la surnommait « la couleur tombée du ciel », car nul ne savait plus à quoi elle ressemblait. Même pour les maraudeurs comme moi, qui sortaient illégalement toutes les nuits.

Je tuerais pour revenir aux jours bénis, où le soleil n'appartenait pas à la classe la plus aisée de cet univers. Je tuerais ! Réellement ! Je l'avais déjà fait face aux dogs de la milice rouge. Mais pas pour l'argent. J'avais des idéaux quand même... des désirs aussi. Beaucoup de désirs. Parfois mon cœur humain battait si fort, qu'il en perdait la raison...Le souvenir de Cristal, ses longs cheveux et sa nuque si délicate s'imposèrent soudainement à moi ...

Je veux la voir ...

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Cette petite nouvelle, dans une ambiance steampunk, aura 5 chapitres.

Bonne lecture !

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