3. Marché conclu

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Aujourd'hui, mon service de nuit m'a permis de visiter une des plus belles maisons de la ville supérieure. Non pas celle de la famille Royale, mais l'une de ses charmantes cousines. J'y ai récupéré un peu de cuivre dans les cuisines. Personne ne s'apercevra d'un si petit cambriolage, ni ne pensera à signaler un manque en ustensiles dînatoires. Je n'ai pas osé pousser jusqu'aux appartements des propriétaires. Je me doute que les miliciens dorment aussi devant les portes des chambres à coucher de leurs maîtres. Stupides chiens de garde ! Ils sont moins que des êtres humains, mais si proches d'eux, qu'ils s'en croient dignes. Les gardes rouges sont abhorrés des Sous-Faciens et je comprends bien pourquoi. S'ils ont des corps faits de sang et de chairs, ils n'ont plus d'esprit, ni de compassion. Ce ne sont plus des êtres humains, rien que des bêtes dressés à la violence et au combat par leurs maîtres. Cette nuit, je ne m'en suis pas trop mal sorti. Jérasel n'aura rien à réparer sur mon bras. C'est assez rare pour que je fête l'évènement.

Dans la ruelle, un jeune garçon vend la gazette des Ecrous. C'est le gamin d'hier ! Je descends lui acheter l'édition quotidienne. J'épinglerai volontiers une photographie de la belle sur les murs nus de ma chambre.

« Alors gamin, tu es photographe ET vendeur ?

- Oui, Monsieur, ça paie plus ! »

Le journal titre, non pas sur mon joli rossignol mécanique, mais sur une série de meurtres perpétrés hier soir en surface. Un article de fond est consacré au dépeceur. On y trouve des photos qui soulèvent le cœur : une rangée d'une dizaine de têtes décapitées, parfaitement alignées sur un mur de la capitale d'en haut. Mais le plus étonnant, reste un message écrit en lettre de sang sur la palissade blanche de l'enceinte du Charleston Palace, la demeure du roi. Le message est explicite : « Cadeau d'en bas! Les têtes humaines n'y manquent pas !».

Ce doit être la première fois, que les Surfaciens se rendent comptent que nous aussi, habitants des terres enfoncées, sommes faits de sang et que nous avons des visages qui ressemblent aux leurs. Je ne sais pas si cela me fait horreur ou si j'ai envie de rire.

Dans son bureau, une pièce exiguë, à l'arrière de son bar, Ward rumine. Mon butin de la veille ne l'impressionne pas. Il me jette de temps à autre un regard noir, puis se reprend et calcul le montant de ce qu'il va m'accorder.

« Petit, dit-il dans un souffle. Ça jase là-haut ! lâche-t-il en pointant le ciel de l'index. L'histoire de ces têtes, ça ne passe pas trop bien, tu vois. Les gardiens des ascenseurs ont pour consigne de ne laisser passer personne, même pas les noctambules de la surface. On parle de circonscrire les allers-venues des policiers et des marchands, voire de bloquer toute production pendant un certain temps. Personne ne passera. Dans les deux sens ! Tu me suis ? On ne vendra rien à la Capitale du dessus, mais eux ne nous fourniront plus de vivres non-plus. Tu sais ce que cela signifie ?! »

Je hochai la tête. Bien sûr que je comprenais: le blocus pénaliserait d'avantage les Sous-faciens, dépendants des vivres alimentaires de la surface, que l'inverse. Ici-bas, sous la terre, nous n'avions que les machines de production et les ateliers d'assemblage. Pour le reste, nous étions totalement dépendants de la surface. Privés de nourriture et de produits de première nécessité, les plus pauvres allaient mourir dès le deuxième jour de blocus. Mais Ward ne faisait pas dans le social. La mort des pauvres, il s'en fichait. Ce qui l'intéressait dans l'histoire, c'était l'idée qu'une pénurie entraînerait une envolée des prix. Et ça, c'était bon pour ses affaires. A condition, bien sûr, d'avoir assez à vendre ! Et l'approvisionnement, c'était mon rôle, forcément, car les maraudeurs sortaient et rentraient comme ils le souhaitaient la nuit. Ils connaissaient les sorties oubliées. Une interdiction de plus ou de moins ne changerait pas grand-chose à leurs activités illégales.

« Je marche, mais j'ai un prix ! » dis-je.

Le tenancier leva la tête de ses comptes.

« Je veux une seule chose et tu sais ce que c'est ! »

Ward soupira comme un bœuf. Je savais que l'affaire était avantageuse pour lui. Ce que j'allais lui ramener pour ses ventes, lui rapporterait au centuple ce que son rossignol mécanique rapportait à sa taverne.

« Je libérerai Cristal, maugréa-t-il, son entretien me coûte bien trop cher. Mais je veux le maximum de vivres de là-haut.

- Marché conclu. »

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