Chapitre 2.2 : Rouge satin

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Deux hommes se disputent, l'un tient l'autre par le collet et ils se déplacent d'un côté et de l'autre de la pièce en se tenant comme s'ils allaient s'égorger. L'autre arrive à se reculer et frappe en premier, le brun tombe à terre et se relève aussitôt sur ses pieds en se mettant en tenue de combat.

— Espèce de connard !
— Tu ne t'approches plus d'elle !
Le brun fonce sur lui et lui fait un placage alors que le blond le repousse une nouvelle fois et s'apprête à frapper. Une seconde, je l'observe, la seconde d'après je me précipite au milieu d'eux pour les séparer.

— Bon sang, mais écartez-vous pour la foie des seigneurs des quatre royaumes !
Ma main se pose sur l'épaule du brun, et l'autre sur le torse du blond, les flammes de la cheminée me chauffent le dos et éclairent leurs profils.

C'est la première fois que je touche réellement des hommes, mais je ne me laisse pas réagir comme une candide, je les repousse et y mets toutes mes forces. L'un me regarde avec étonnement, l'autre, c'est à peine s'il m'a remarqué, ses yeux braqués sur l'autre, j'aperçois au fond de la pièce une plante dans son pot en terre cuite qui vole vers nous. Littéralement.
Elle est dans l'air et défie toute loi de gravité à cet instant. Les narines du blond sont dilatées et la haine l'aveugle clairement. Je n'ai pas le temps de l'arrêter que je suis projetée et je me retrouve fesses contre le sol. Je cligne plusieurs fois des yeux, puis regarde par terre, de la terre et le vase sont brisés sur le sol et je vérifie le sommet de ma tête par réflexe sans rien sentir de boursouflé.
Non, on ne m'a pas fracassé ce pot dessus, on m'a poussé. S'il allait m'assommer avec sa plante intentionnellement alors que je voulais aider, je jure que... une ombre passe devant moi et je m'écroule de nouveau par terre alors que j'étais en train d'essayer de me relever, celui que je pensais coupable se retrouve envoyé à l'autre bout de la pièce et s'écrase contre le mur. Un homme apparaît, dans la tenue de soldat que j'arbore et c'est là que je remarque que les deux hommes qui se battaient il y a encore une minute sont en fait en costumes noirs. Comme dans les films élégants des années 90' du monde humain. L'homme prend le brun par le col de sa chemise blanche et le lève comme s'il ne pesait rien, alors que le blond est toujours avachi sur le parquet.

— À quoi pensez-vous putain ?
— Je.. Ses yeux brillent de haine, puis comme s'il était pris d'une soudaine conscience, il baisse la tête, à rien.
— À rien qui ?
— Supérieur.

Supérieur ?

Ne me dites pas qu'il y a un système d'échelon ici.

Il le jette et la brute brune manque de s'effondrer sous son poids avant de reculer, les yeux rivés sur le sol. Le colosse se tourne, et baisse le regard vers moi, ce n'est pas son visage que je remarque en premier, mais ses yeux. Un anneau rouge lumineux entoure ses iris, il est furieux, et il est de l'élément du feu sans aucun doute. C'est la première fois que je vois ça et je recule sous le coup de la surprise. Parce qu'il a l'air terrifiant et...

— Et vous ? Il interrompt mes pensées. Vous êtes nouvelle j'imagine, faire se battre des garçons avant même que les cours commencent, c'est quoi votre problème ?

Son timbre profond possède un léger accent étranger que je n'arrive pas à identifier. Quelque chose de mûr, d'ancien dans son intonation.

Je suis tellement sous le choc que je tourne la tête derrière moi, vers la cheminée pour être sûre qu'il s'adresse bien à moi. Je me montre du pouce, la bouche ouverte. Il me parle à moi ? La haine commence à monter. D'abord, on m'ignore, ensuite, on me pousse et maintenant, on m'accuse d'en être la cause ?

— Je vous demande pardon ?

Je me lève, parce que j'étais toujours par terre à plusieurs mètres et j'époussette mes cuisses, même si inutile vu l'état de ma tenue et m'approche. Je déglutis en me rendant compte à quel point j'ai l'air petite, plus j'approche, plus j'ai l'impression de rétrécir. Je ne me dégonfle pas, je lève le menton, tends la colonne vertébrale et m'arrête juste devant ce géant. Mon nez arrive juste devant sa poitrine et je suis obligée de lever la tête pour regarder ses yeux de feu. J'enfonce mon index dans son ventre et manque d'oublier ce que j'allais dire sous la douleur qui vient d'irradier la pulpe de mon index, non mais ce mec est fait en acier ? Il a peut-être une armure là-dessous ? Un électrochoc parcourt mes veines, me coupant le souffle, je reprends rapidement mes esprits. Sa domination me met juste encore plus en colère.

— Non mais écoutez moi bien, ce n'est pas parce que vous êtes un géant de quoi ? Deux mètres ? Que vous pouvez me manquer de respect, j'ai entendu l'altercation et j'ai voulu les séparer, alors le minimum, quand vous venez séparer des connards enragés, essayez de ne pas pousser la personne qui est là pour la même chose que vous et surtout je-gérais-la-situation.

Ses pupilles sont redevenues normales au fil de ma phrase, mes jambes tremblent, et j'essaie de faire paraître ma voix la plus confiante possible. Maintenant, que je le détaille de près, je suis subjuguée. Je n'ai pas vu beaucoup d'hommes dans ma vie, mais je n'ai jamais vu quelqu'un dans son genre. Jamais aperçu d'homme aussi... je n'ai pas de mots suffisants. Il a les cheveux châtains, légèrement ébouriffés et ses yeux sont d'un marron maronné où dansent des centaines de tornades qui éteignent un incendie. Et cette cicatrice qui barre l'arête de son nez... Je pince mes lèvres alors qu'il commence à m'étudier longuement, minutieusement, observant chaque détail de mon apparence. Je déglutis difficilement devant cet examen éhonté qui me donne soudainement la chair de poule. À quoi joue ce goujat ?
J'essaie de garder le visage impassible alors qu'il continue de m'observer me mettant mal à l'aise.
Je ne sais pas vraiment quel âge à chacun. Les éléments de la nature vieillissent plus vite, les éléments de feu sont ceux qui vivent le plus longtemps, donc il m'est impossible de déterminer à quel point ils sont plus vieux que moi.

Quelque chose n'a pas dû lui plaire car ses pupilles s'éclairent de nouveau dans un brasier incandescent.

— Waouh, vous ! Vous êtes un dur de dur, la panoplie des yeux rouge et tout, super, maintenant, je peux aller me changer ou on va m'accuser de faire de l'exhibitionnisme ?

— Pourquoi êtes-vous recouverte de farine ?

Je baisse la tête sur mon corps et constate qu'en effet, ma tenue est toujours recouverte de farine et j'amène ma main sur mon nez où il doit en rester. Non mais j'hallucine, c'est le sujet ? Des excuses ? Des regrets sur son visage ? Non, il a juste l'air de s'amuser de la situation, ignorant les deux imbéciles serviles qui reculent vers la porte. Certes, l'homme devant moi est intimidant, mais là, il s'agit de tout autre chose. Ils se soumettent à lui.

— Et vous pensez que je vais vous répondre ?

Je me mets à sourire. Il est hors de question que je commence une discussion avec un type dans son genre. Je le contourne en jetant ma tresse en arrière et disparaît derrière la porte du dressing sans flancher, sentant mon dos se faire fusiller par le grand goujat furax.

Quand je referme la porte, je m'y adosse en respirant enfin à un rythme irrégulier.

Wouah.
Si tous les hommes d'Alméraldiel sont comme ça, je ne me laisse pas une semaine sans en castrer un.

Je m'assure que personne ne vient me déranger et reprends mes recherches, je ne sais pas si c'est une coïncidence, mais quand je me regarde dans le miroir, je me vois dans une robe rouge feu, le velours glisse sur ma peau, et même si c'est un choix audacieux, je suis énervée ce soir et j'ai envie de mettre ce que j'ai envie de mettre. Ma peau contraste complètement avec la robe, les manches sont longues et collent mes bras comme une seconde peau, j'ai un décolleté simple mais suffisant pour mettre ma poitrine en valeur, elle colle à mes hanches en partant en jupe sirène. Je n'ai jamais rien essayé de tel, j'ai déjà vu des robes comme cela dans les films du mercredi après-midi appartenant aux humains, mais je n'ai jamais pu toucher un tel tissu. Je l'enlève dès que j'ai fait mon choix, et cours presque en retournant à ma chambre, c'est certain que je vais être en retard. Je fais couler l'eau chaude et viens me mettre dessous, détendant tous mes muscles, je frotte mes cheveux et mousse mon corps avec cet élixir que Brett a déposé devant ma porte. Ce savon sent la rose et c'est encore une fois une odeur si délicate, que je n'ai jamais connu quelque chose qui y ressemble. Je coiffe mes cheveux dans une tresse, puis décide d'en faire un chignon. J'enfile la robe et ouvre la porte.

Je manque de me prendre un poing.

— Oh, pardon, je voulais voir si vous aviez tout ce qu'il vous f...

Brett est en costume deux pièces noir et blanc, ses cheveux noirs sont apprivoisés avec une pâte transparente et il me détaille avec une gourmandise à peine dissimulée. J'en conclus que mon choix de robe est bon.

— Alors ça !

Il se met de profil à moi et me propose son bras.
— Je vous accompagne jusque-là bas.

J'accepte son bras en me sentant en émoi.
Est-ce qu'il rougit ? A cause de qui ? Moi ?
Ça ne m'est jamais arrivé.

Je veux dire, est-ce qu'il a le droit, même ?

FéheriesWhere stories live. Discover now