ÉTAPE 7

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Dimanche 07 Avril

Meung-Sur-Loire / Beaugency / Lestiou /Avaray :
29 kms 430 - ( 178 kms 950 )


     Ai-je  bien dormi ? C'est non. Ai-je froid ? Je ne me suis pas encore réchauffé depuis que je me suis démoulé de mon duvet, comme on démoule des glaçons d'un bac du congélateur. Si je me fie à l'application de mon téléphone, j'en ai encore pour une semaine à me cailler les miches. Ensuite, cela devrait se radoucir ce que j'espère parce que ce froid m'esquinte et m'éreinte. Il m'empêche d'avoir mon compte de sommeil et à force, cela me tape dans les nerfs.

     Bref, c'est aujourd'hui le marché à Meung et je vais en profiter pour acheter des fruits et faire tamponner mon carnet. Y faire le plein d'eau aussi. Tous les camelots sont sous le coup de feu du déballage de leur marchandise et de partout fusent plaisanteries, rires et galéjades. Chacun y va de son cirque et c'est à qui déridera au mieux le chaland. C'est ainsi qu'on rameute la clientèle et même si parfois vous n'avez besoin de rien, celui-ci ou celui-là vous aura tant amusé, qu'il réussira à vous fourguer une botte de persil ou une demie-livre d'olives.

     - je t'ai vu tout à l'heure sur la route.

      Le primeur  m'accoste en rajustant son bonnet et en soufflant sur le bout de ses doigts qui dépassent de ses mitaines.

     - Je ne sais pas...
     - Si, il faisait encore nuit. C'était vers Saint-Ay. T'es un pèlerin de Compostelle ? T'as une coquille... Mais comment vous faites pour marcher tout ça aussi longtemps ? Tu viens d'où ?
     - De trente kilomètres avant Paris.
     - Oh làlà... Mais quel courage. Quel courage mon frère. Tiens, prends ça. Il faut que tu manges pour tenir.

     Il me met d'autorité une dizaine de bananes dans les mains. Rajoute des oranges...

      - Mais quel courage... Il ne cesse de me le répèter. Dis fois, vingt fois...
        Tu penseras à moi quand tu les mangeras. je m'appelle Aziz. Oh là là...
     - Tristan... Mais c'est beaucoup trop...

     Il me fait rire et en même temps, je suis très ému par toute sa gentillesse. Je sais déjà que je ne l'oublierai jamais.

     - Ca va être trop lourd dans mon sac. Je suis presqu'au maximum de ce que je peux porter.

     Il le comprend. Alors que je prenne ce que je veux. J'y vais pour deux mandarines et deux bananes. Nous ne sommes plus que deux hommes au milieu d'une foule, lui avec peut-être une dizaine d'années de moins dans le don et l'amour, et moi tout chamboulé de sa si grande générosité. Lorsque je le quitte, il met sa main à l'endroit de son coeur et me souhaite un bon voyage. Inch'Allah Aziz. Inch'Allah...

-2-

     Le café du coin ne sert pas de petit déjeuner mais ce n'est pas grave parce que j'ai les fruits d'Aziz. La salle est très bruyante. Elle est pleine à craquer et je m'estime heureux d'avoir pu m'attabler. Il ne restait plus qu'une toute petite table de libre au fond, près de la colonne et comme je n'aime pas rester debout à un comptoir, cela est parfait. Je ne pense pas à grand chose ou alors de façon confuse. Peut-être à mon primeur. Peut-être aux kilomètres qu'il me reste à faire ou à ceux que j'ai déjà effectués. Voilà à peine une petite semaine que je suis sur les routes. Ce n'est rien et pourtant tellement à la fois.

     - Cela ne vous dérange pas si je m'assois là, Monsieur ?

     Elle ne me laisse pas le temps de répondre et elle a bien raison parce qu'il me plait de partager ce qui n'est en fait pas plus qu'un guéridon avec cette vieille dame. En même temps qu'elle, arrive le café allongé que j'ai commandé, plus le sien. Je paie les deux pour l'inviter à rester et je la vois rougir. Je viens également d'enclencher son moulin à parole parce qu'elle a la langue facile et qu'elle aime parler quand on l'y incite.

Au bout du chemin : Compostelle Where stories live. Discover now