Étape 14

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Dimanche 14 Avril

Dange-Saint-Romain / Châtellerault / Naintré :
25 kms - (364 kms 390)


     "86", département de la Vienne. Chef-lieu de canton, Poitiers. Sous-préfectures, Châtellerault et Montmorillon. 266 communes. Près de 450 000 habitants sur 6990 kms2.

     J'y suis entré ce matin...

     Selon un des dix clichés que le monde a sur les français, nous sommes de gros buveurs. Je passe sur les cuisses de grenouille et le fromage. Ce qui est vrai, c'est que nous sommes le premier pays producteur de vin au monde. On dit que la France est un pays où l'homme boit. Dites-moi alors pourquoi aujourd'hui, j'ai crapahuté 22 kilomètres sans pouvoir entrer dans un bistrot ? Les Ormes / Châtellerault. Croyez-moi, il a fait soif.

J'en ai bien croisé qui ouvraient à 08h00, mais il était 07h00. D'autres n'ouvraient qu'à 10h00 et un n'ouvraient que le Dimanche à partir de 16h00. Voilà comment on picole dans l'hexagone...

     Il y a sûrment quelques statisticiens qui se penchent sur la question puisqu'on aime tout quantifier, mais moi je vous l'annonce ; Dans la Vienne, l'homme ne meurt pas de cirrhose du foie contractée dans les débits de boisson. Si maladie il y a, c'est à domicile que la bibine circule, et cela ayant un effet domino, pas de bistrot, pas de petit déjeuner. Ai-je davantage apprécié les champs de colzas, moi qui les aime tant ? Je n'en suis pas certain mais j'arrive enfin à Châtellerault assez desséché.

     J'y entre par le boulevard de Blossac, longeant les promenades du même nom où s'établit son marché et tous les grands rendez-vous de la ville, comme sa fête foraine annuelle. Par contre, il y en a une qui n'est pas à la fête. Je croise en effet une vieille dame pliée en deux sur le parvis de l'église Saint-Jean-Baptiste. Elle se tortille comme un ver coupé en deux en se tenant le ventre. Je m'en approche pour lui venir en aide mais elle me fuit en laissant derrière elle une traînée de diarrhée. Cela ne me rebute pas. Je la rattrape et lui propose ce que je peux. Elle, toute honteuse me répond qu'elle est SDF, qu'elle a juste la colique et qu'on la laisse tranquille. Elle le dit autrement, entre deux insultes mais l'humiliation est la même et pour ne pas rajouter à sa peine, je m'éloigne comme demandé...

     On n' y pense pas. On n'en parle pas. Mais c'est vrai que le fait de ne pouvoir accéder à certaines commodités, pour une partie de la population est un véritable problème. Il y a bien des toilettes publiques à accès gratuit dans quelques grandes villes, mais ce ne sont que des arbres qui cachent les forêts d'un souci plus ou moins tabous. Un souci qui fait bien souvent rigoler comme tout ce qui touche le pipi-caca. Et pourtant...

     J'ai du mal à chasser l'image de la malheureuse de mon esprit. Au risque de passer pour un démago, je me dis qu'avec un peu plus d'humanité, bien des maux seraient soulager de la misère. Il ne suffit d'un rien, mais quand on a besoin de rien, le coeur reste ignorant.

-2-

     La ville de Naintré n'est qu'à 4 kilomètres mais je n'arrive plus à avancer. De toute façon, j'ai crapahuté mes 25 bornes et d'après mes prévisions, je n'ai aucun retard. Je suis dans les temps et puis j'arriverai quand j'arriverai. Le problème du moment est de trouver où me poser. Si j'osais, c'est là-bas que j'irais... Et j'ose.

     Un rond-point énorme, bien arboré dans lequel il sera impossible de déceler ma présence. Je traverse en courant parce que le flot des voitures est incessant et m'enfonce en son coeur. S'il n' y a aucun Fangio qui se viande dans le virolo et qui rameute pompiers, Samu et la maréchaussée, je devrais passer une bonne nuit.

     Sans cette audace, je ne sais combien de temps il m'aurait fallu encore marcher. Les véhicules arrivent par vagues avec un bruit assourdissant qui si on ferme les yeux, pourraient nous faire songer à l'océan se fracassant sur les rochers...

     Oui, bah désolé. Si on n'y met pas du sien, les bagnoles ne resteront que des bagnoles polluantes qui bourdonnent dans nos oreilles et m'empêcheront peut-être de dormir ce soir. Je ne suis pas de nature négative et il me plaît toujours de transposer les choses. C'est vrai, je suis un rêveur, mais c'est parce que je le suis que je suis parti. C'est parce que Magellan l'était qu'il découvrit le détroit portant son nom. C'est parce que Vasco de Gama l'était qu'il parvint aux Indes par le Cap de Bonne-Espèrance...

     Ce n'est pas la peine de se moquer. Je sais bien que je ne vais qu'à Compostelle et ne trouverai rien de nouveau sous le soleil. Je n'ai pas cette prétention, mais si j'ai envie d'entendre la mer plutôt que des diesels, pourquoi ne pas me laisser y croire, pendant que tant d'autres croient au "bon Dieu" en racontant des sornettes à leur progéniture sur le père-noël...

Au bout du chemin : Compostelle حيث تعيش القصص. اكتشف الآن