Je m'étrille la peau et me brosse les dents durant de longues minutes sous un jet brûlant afin de me débarrasser de cette désagréable sensation vaseuse imprégnée à même ma peau. Même si celle-ci se révèle imaginaire. J'ai cru mourir dans ce motel. Ce genre de rêve ne m'est pas arrivé depuis longtemps. Le premier remonte à la nuit du 13 au 14 mars 2000. Dans ce celui-là, je me trouvais sur un vélo, pédalant à toute allure sur une route de campagne gorgée d'eau, la visibilité réduite par des trombes de pluie. J'ai perçu le bruit d'un moteur au loin. Une voiture arrivait dans mon dos. Trop vite. Prudent, je me suis décalé sur le côté. Mon feu arrière était brisé. Je ne l'ai pas vu, mais au fond de moi, je le savais. M'ayant aperçu au dernier moment, le conducteur a écrasé la pédale de frein. Le crissement des pneus s'est mêlé au vacarme de tôle froissée, et mon petit corps a été projeté dans les airs, avant de retomber lourdement dans un fossé. Je ne sentais plus mes membres ni aucune douleur. Un homme est descendu de la voiture. Son regard paniqué s'est posé sur moi. Pendant de longues secondes, le chauffard n'a pas bougé, et puis, après un bref coup d'œil autour de lui, il a choisi de disparaître. Le lendemain, Rooney, un camarade de classe, manquait à l'appel. Le jeune garçon que j'étais n'avait pas compris tout de suite. Comment aurais-je pu deviner que ce rêve se produirait ? Ce jour-là, Rooney Harrigan ne s'est pas présenté en cours, les jours suivants non plus. Il n'est plus jamais revenu.
Cette vision s'est par la suite révélée à cent pour cent exact, mais qu'en est-il de celle du motel ? Le Beaver a-t-il été témoin d'un crime perpétré entre ses murs ? Hasna ? Impossible. Dans ma prémonition, même si celle-ci n'y mourrait pas à première vue, la jeune femme était garée au bord d'une route, pas dans l'une de ses chambres. Adam ? Non, plus. Lui se trouvait dans la forêt. Qui concernait-elle dans ce cas ?
Sec et propre, j'attache mes cheveux mi-longs en un demi-chignon et m'installe derrière mon bureau pour effectuer des recherches sur la région, notamment sur une personne en particulier. En tapant le nom d'Adam Taylor dans la barre de recherche, je tombe sur un article de fait divers. À l'aube du 13 octobre, un photographe animalier amateur a découvert un corps dans la forêt de Bellwood. Selon l'auteur, la victime a été éventrée, ses viscères exposés à la nature. Aucune information n'est divulguée quant à la nature de l'arme du crime. Les investigations de l'équipe scientifique se sont soldées par un échec. Pas d'ADN. Pas d'arme. Rien. Le coupable semble s'être volatilisé.
Je bifurque sur une plateforme de partage de vidéos. L'un des vidéastes spécialisé dans le true crime cite une vieille légende vieille hantant Bellwood depuis près de deux siècles, afin d'instaurer la peur chez ses abonnés. Otaktay, métamorphosé en ours, attaquerait les étrangers et emmènerait les enfants dans l'autre monde, les confondant avec sa progéniture disparue. Le tueur d'Adam s'est-il inspiré de ce mythe ? Les griffes vont dans cette direction. Et pour Hasna : la mort de l'étrangère, la disparition de l'enfant... Là aussi, les faits collent. Seul point digressant : Adam. D'après les articles à son sujet, le jeune homme est un enfant du pays. Né à Bellwood, de parents eux-mêmes nés ici. Il a toujours vécu dans cette ville.
Un sentiment malsain se dégageait de la vidéo. Le léger sourire et les intonations de ce type face caméra, me filaient la nausée. Il se nourrissait du malheur des autres. Plus le crime était sanglant, plus les internautes cliquaient. Je songeai aux Taylor. Comment se remettre d'un tel drame ? Comment avoir les épaules assez solides pour vivre avec l'idée que son enfant avait été sauvagement assassiné ?
Intéressé par cette légende, je décide de m'y pencher dessus. J'apprends ainsi que les amateurs de légendes urbaines partent régulièrement en expédition dans la forêt en quête du célèbre arbre en haut duquel le guerrier aurait suspendu les membres de sa tribu en dernier hommage. Les habitants, en revanche, détestent voir leurs ancêtres associés à cette sombre partie de l'histoire. L'existence des Wapitoka n'ayant jamais été confirmée, les locaux préfèrent détourner le regard, reléguant le destin tragique de ce peuple au rang de simple mythe évoqué autour du feu. Pourtant, des crimes semblables ont bel et bien eu lieu durant les siècles derniers. Des milliers d'autochtones avaient été massacrés et presque autant d'enfants avaient été arrachés à leur famille dans le but de les élever parmi les blancs et de « tuer l'indien en eux » parfois littéralement. Pourquoi serait-ce différent ici ?
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Le Passé Ne Meurt Jamais [NON CORRIGÉ]
Mystery / ThrillerRaphael frappe à la porte du commissariat de Bellwood pour déclarer un meurtre et la disparition de Maya, la fille de la victime. Seul fait étrange : tout cela s'est produit dans un rêve. Au départ septique face à ce qui semblait être la déclaration...