𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝟲 🀷

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Taehyung


Le bout de mon crayon s'enfonce une nouvelle fois dans le corps du stylo, dans un « clic » sonore qui semble faire de plus en plus gonfler la veine présente sur la tempe de l'homme venu voir le corps.

Je ne connais même pas son nom, mais je ne le souhaite pas.

Le directeur de l'orphelinat a le don de m'agacer rien que par sa présence. Il sent le gel et le tabac à plein nez, et une chaîne d'un doré douteux pend sur son torse.

Il s'en sert pour se pavaner, et n'hésite pas à l'exhiber dans chaque situation. Il la tripote quand il me parle, la fait se balancer sous mon nez quand il se penche pour écouter certaines de mes explications, et fait même mine de la remettre droite sur son buste quand elle est déjà bien placée.

« C'est elle, oui ou non ? Vous êtes conscient qu'il y a une grande différence entre Alfreda Rush et Eda Williams »

Mon exacerbation se fait nettement ressentir dans les intonations qui font vibrer mes mots. Cela fait plus d'une dizaine de minutes qu'il regarde le corps, pour en déterminer si c'est l'adolescente disparue.

Je commence à perdre patience, comme bien trop souvent quand je me trouve près de ce type.

Il est vrai que je n'ai pas encore pu nettoyer le visage érodé de la défunte. Ses cheveux sont encore emmêlés, poisseux de sang.

Son nez a pris un angle qui n'est pas très recommandable, et sa mâchoire ressemble à un amas de purée de tomates peu ragoûtante. Je ne suis même pas sûr que des os soient encore intacts là-dessous.

Ils semblent tous avoir été écrabouillés.

De quoi vous donner envie de bien manger ce midi.

« Je pense que c'est elle, oui. Et dans Alfreda, il y a Eda. C'est un diminutif, m'annonce-t-il d'un air qui sous-entend que je ne suis pas capable de le comprendre moi-même. Williams était le nom de sa mère. Rush, celui de son père. »

Je détourne le regard du corps meurtri, inspire si profondément que ça en est impressionnant que mes poumons ne tombent pas au fond de mon estomac, et fixe de manière intense et colérique le visage aigre de cet homme en me retenant de laisser mon poing s'écraser sur sa mâchoire.

« Vous pensez ? je réplique d'un ton dur, ignorant son explication. »

À la place, je croise mes mains derrière mon dos, dans la chute de mes reins, pour ne pas laisser mes pulsions morbides devenir réelles.

« Ils se ressemblent tous, vous sav..., tente-t-il d'argumenter.

— Votre irrespect apparaît sans limite, visiblement, je le coupe d'une voix sèche qui secoue l'air de sa tonalité irritée. Comment pouvez-vous dire une telle chose ? Enfin non, vous savez quoi, je ne veux même pas connaître la réponse. »

Il essaie quand même de s'exprimer malgré mon avertissement, mais ses mots se transforment en un bafouement incompréhensible quand il rencontre mon regard perçant.

Il finit par se ratatiner sur ses pieds, et acquiesce machinalement en se décalant de quelques pas le temps que je rabatte la bâche en plastique sur le visage de la jeune femme.

Je pousse ensuite la table coulissante dans le renfoncement de l'un des immenses congélateurs dans lequel le corps est conservé, et invite le tuteur de la défunte à me suivre hors de la chambre froide pour aller dans la pièce d'à côté.

Dans celle-ci, qui me sert de bureau, des affiches parcheminées et centrées sur le corps humain, les tissus, les organes, habillent les murs.

D'autres sont des croquis plus approfondis du crâne, de l'œil, du pied, ou encore des poumons.

𝑀𝑢𝑟𝑑𝑒𝑟(𝘩)𝑒𝑟  〕  𝑡𝑎𝑒𝑔𝑔𝑢𝑘Where stories live. Discover now