Septembre

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C'est la rentrée dans quelques jours.

M'man a décidé de partir faire les courses de fournitures, avec Amandine et Anthony. Amandine n'a vraiment pas envie d'y aller. Les fournitures, c'est toujours une horreur. M'man passe son temps à gueuler, en chœur avec d'autres mères gueulantes, sur toujours les mêmes couplets : « prends pas ça ! » « c'est trop cher ! » « t'en a pas besoin ! ». C'est à se demander pourquoi M'man veut toujours les emmener acheter, et surtout le samedi, où y' a tout le monde et où on se bouscule, on braille, on transpire. Bref si on veut avoir une idée de l'enfer, suffit d'aller à Carrefour un samedi de début septembre.


Quand elle était petite, Amandine ramenait parfois vers le caddie un stylo qui sent la fraise ou un agenda de marque, mais vu le regard de M'man, elle abandonnait vite l'idée d'avoir autre chose que les moins chers. Son seul petit luxe, c'était le choix de son cartable, dans un rayon immense, avec tellement de marques qu'elle ne savait jamais lequel prendre. Elle n'avait jamais remarqué que pour le cartable, M'man ne demandait jamais de se dépêcher. Elle les regardait, ses deux enfants, avec leurs yeux écarquillés, heureux de pouvoir prendre le cartable avec le personnage de leur dessin animé préféré, quand ils étaient en primaire, puis celui de LA marque obligatoire du collège, qui évidemment changeait tous les ans. Elle avait toujours un petit pincement au cœur, un regret, de les voir, ses petits, parler, vivre et penser économies comme elle au même âge, quand déjà sa mère ramenait les fournitures à la maison et choisissait toujours les moins chères. Pas le choix. C'est la vie.

Mais Amandine n'a que quinze ans, et tout ce qu'elle pense, c'est que sa mère est conne, ou sadique ou les deux. Elle marche comme un robot dans les rayons, attrapant au vol mauvais crayons, mauvais cahiers aux feuilles presque transparentes, et le sac ben...elle gardera le même que l'année dernière il est encore en bon état. Elle ne dit rien et ne demande plus rien qu'on pourrait lui refuser. Anthony a beau être plus âgé qu'elle, il n'a pas encore compris que fallait pas demander des trucs chers. Alors il gueule, toujours la même phrase « Putain ! Mais je vais passer pour un crevard !! ». Et M'man essaie de gueuler plus fort et puis, parfois, souvent cède. Elle cède uniquement pour lui, Amandine, elle, n'essaie pas de réclamer, parce qu'elle sait que l'unique réponse qu'elle pourrait attendre c'est « Oh tu vas pas nous emmerder toi aussi ! ».

Au milieu des cris, Amandine se rappelle du jour où P'pa a creusé le crédit pour acheter un écran plat. M'man a gueulé, ça c'est sûr, mais l'écran est resté. P'pa aussi a peur de passer pour un crevard.

Le retour à la maison se passe dans un silence pesant. Anthony, casquette vissée sur la tête, a décidé d'écouter de la musique sur son portable. Mais pas avec les écouteurs, avec le haut-parleur, son poussé au max. M'man est gênée, les gens dans le bus la regardent, alors elle lui dit une première fois d'éteindre, puis une deuxième, un peu plus fort. Mais ici personne ne gueule pour couvrir ses cris comme au Carrefour, alors elle bat en retraite, une fois de plus, et Anthony affiche un sourire de gagnant satisfait. Amandine essaie de faire semblant de ne pas les connaître, elle a le front collé contre la vitre et regarde passer le paysage. Enfin, le paysage, une suite interrompue de maisons et d'immeubles, scandée parfois d'arbres survivants ou suicidaires plantés dans la mer de béton, tout cela plombé par un ciel gris et lourd : un vrai temps de rentrée.

Une fois arrivée, Amandine se précipite dans sa chambre avec son sac de fournitures, pour les ranger et s'isoler, enfin. La maison est un petit pavillon, comme il en existe des milliers: un toit deux pentes, des murs beiges en crépi qui râpe, trois chambres, une cuisine, un salon et un garage encombré. Le jardin est tout petit, un portique y rouille depuis que plus personne ne se balance dessus. Les maisons des voisins sont toutes pareilles, avec ou sans balançoire, avec ou sans bacs à fleurs. Elles s'étendent, à l'ombre des tours du quartier sensible, comme on dit au 20H. Les Lilas, le quartier des tours où d'ailleurs on n'a jamais vu la queue d'un lilas, est pas plus « sensible » que les pavillons posés à cinquante mètres de l'autre côté de la rue Aragon. Les gens n'y ont pas plus de boulot, pas plus d'avenir, pas plus de rien.

Les Roses BlanchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant