Avril

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Lire, au début ça a été clairement dur d'essayer.

Alors qu'elle rentre chez elle à pied, profitant des premiers rayons de soleil printanier, Amandine pense à ces derniers mois et a l'impression qu'au lieu de quelques semaines, des années ont passé.

Au fur et à mesure, Amandine a progressé en lecture et est passée petit à petit, de la section enfant à la section ado, puis enfin à la section adulte. Elle retourne même à la bibliothèque seule. Sans trop savoir comment, elle est devenue boulimique de lecture. C'est peut-être les encouragements de Madeleine dans les moments difficiles où elle lisait accompagnée d'un dictionnaire qui l'ont empêchée de flancher quand elle se sentait trop stupide. C'est peut-être le regard de la petite Elsa, qui prend tous les progrès d'Amandine comme un succès personnel et qui, lorsqu'elle l'a vue atteindre au bout de presque trois mois la section adulte, lui a dit :

- Alors là, je suis impressionnée, tu m'as dépassée !, tel un maître Jedi surpris par l'ascension fulgurante de son jeune Padawan.

Comme Elsa l'avait dit, les livres font rêver. Et cet hiver, au lieu de faire une énième virée au centre-ville ou de regarder des rediffusions à la télé, Amandine est restée tranquille dans sa chambre à lire des histoires de voyages, d'amour, d'enquêtes, de vie. A Noël, Madeleine lui a offert La Petite Fadette, de George Sand, parce que « c'est l'histoire d'une jeune fille qu'on dit laide et sorcière et qui se révèle être belle de cœur et d'apparence ». Amandine a saisi le clin d'œil, elle qui a si peu confiance en elle. Le livre lui a beaucoup plu, et le personnage de la Fadette aussi. Peut-être qu'elle aussi elle a des qualités cachées et qu'un jour quand elle sera adulte tout le monde les reconnaîtra. C'est d'ailleurs ce que lui a dit Mme Garance, remarquant ses progrès en lettres.

- Vous progressez beaucoup ces derniers temps Amandine, c'est bien, apparemment vous êtes la seule de vos camarades à qui j'ai recommandé de lire qui l'a effectivement fait. Je vous en félicite. Vous ne ferez pas partie des moutons qui se jettent joyeusement de la falaise.
- Comment ça ?
- Et bien quand un mouton se jette d'une falaise, par peur, ou par bêtise je ne suis pas spécialiste des ovins, les autres le suivent sans réfléchir. C'est pareil avec cette classe. Tout le monde suit celui qui a décidé que c'était tendance d'être inculte, et à la fin, tous s'écraseront depuis la falaise du chômage et viendront me pleurer dans le bonnet.

Toujours aussi sympa décidément.

- Vous savez vous êtes tous en friche.
- En friche ?
- Oui, vous êtes comme des champs qui pourraient potentiellement porter de beaux fruits, mais on vous a abandonnés aux mauvaises herbes. On reconnait que vous êtes fertiles à ces quelques fleurs rares que vous portez, mais sans la connaissance, vous ne restez qu'un potentiel. Vous comprenez ?
- Pas vraiment...
- En gros, elle soupira, vous avez beaucoup de capacités, et si vous êtes intelligente et que vous ne vous laissez pas influencer, vous pourrez faire de grandes choses. Je compte sur vous.

Malgré son côté revêche, le soutien de Mme Garance compte. Amandine s'est dit que le jour où elle comprendrait tout ce qu'elle disait elle aurait vraiment progressé. Parce que le coup de la friche...
Et puis il y a Alexis l'intello, qu'elle n'affuble d'ailleurs plus de ce surnom depuis qu'elle a compris que ranger les gens dans des boîtes ce n'est pas être ordonné, c'est être con. Il suit ses progrès d'un œil amusé. Lui aussi n'est pas exempt de préjugés ; si on lui avait demandé quelques semaines auparavant de ce qu'il pensait d'Amandine, il aurait répondu « c'est une dinde superficielle, qui traîne avec une anorexique et gossip girl ».

Mais à présent, quand il voit Amandine choisir des livres en se mordillant la lèvre, il la trouve courageuse de s'attaquer à quelque chose en partant de si bas, lui qui a toujours lu. D'observateur, il est devenu acteur, lui conseillant des livres qu'il a lus et qui pourraient lui plaire. Il est impressionné par la volonté butée d'Amandine, qui note dans un petit carnet tous les mots qu'elle ne connait pas, pour les chercher plus tard –une idée de Madeleine.
Amandine est mue par une rage intérieure depuis qu'elle a pris conscience de son ignorance, de ses préjugés, de son horizon étriqué. Madeleine a raison quand elle dit que la lecture ouvre incroyablement l'esprit.Mais une fois que c'est ouvert, faut meubler l'espace vide.

Les Roses BlanchesWhere stories live. Discover now