Chapitre 2

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Jordan

«Quand la vie devient un combat, il se gagne en famille.
Anonyme.»

Rowan me demande encore qu'on se voit. Mais je ne peux toujours pas. Il me demande pourquoi je refuse souvent. Parce que j'ai une mère à sauver. Rowan n'a jamais compris les problèmes des autres. J'envie sa famille heureuse et complète, voyant la mienne s'effondrer chaque jour un peu plus depuis que ma mère a signé son arrêt maladie. On voit son état s'empirer de jour en jour. Les médicaments prescrits par le médecin ne semble avoir aucun effet positif sur elle, au contraire ils semblent la dégrader. Elle ne parle presque plus depuis la mort de sa soeur. Son visage est neutre, elle n'affiche aucune émotion, ou alors, la plupart du temps, elle exprime des sentiments faussés. Elle montre un grand sourire et parfois elle sort des phrases banales sur le temps qu'il fait. On se demande ce qu'elle pense, si elle ressent de la douleur. Elle va parfois à l'hôpital et revient un jour ou deux après. J'essaye de passer le plus de temps à ses côtés, tant pis si elle ne le voit pas. La belle au bois dormant s'est réveillée au bout de 100 ans grâce au baiser d'un inconnu, ma mère peut bien guérir si je lui montre mon amour au quotidien, non ? Parfois je reste à côté d'elle, je ne dis rien, je ne fais rien, je l'observe, je ne fais que penser. Dans son fauteuil à bascule, elle a le regard perdu entre la table basse et le tapis. Cette vision d'elle me fait pleurer, mais je me retiens en sa présence. Je me demande comment les choses sont de son point de vue. Vit-elle comme un robot ? Effectuant des tâches très simple au quotidien, dénuées de toute réflexion comme se lever du canapé, se rasseoir et se relever pour se rasseoir ?
Mon père est mort d'inquiétude. Il se souvient de la femme qui le faisait danser dans le salon les soirs où elle en avait l'envie. Ma mère avait toujours le sourire, elle était active, elle avait toujours de l'amour à donner. Malgré ses journées de travail longues et épuisantes, en tant que docteur, elle revenait du travail heureuse et énergisée, prête à rire et à faire rire les gens. Elle se disait souvent humoriste à mi-temps, allant tous les dimanches divertir des inconnus sur une scène dans un bar. Le patron du bar l'aimait bien, elle lui ramenait des clients. Quand j'accompagnais ma mère, je me mettais dans le public et souriait de toutes mes dents. Quand j'étais petit, je ne comprenais rien à la plupart des blagues, et me forçais à rire, pour ne pas gâcher son bonheur. Personne ne voulait gâcher son bonheur. Pas même sa sœur Sylvie, qui ne l'appréciait pas tant. Elle avait toujours trouvé détestable la façon dont tout le monde se souciait de ma mère, et l'adorait. Sylvie avait vécu dans l'ombre de ma mère, qui était le centre de l'attention depuis petite. Depuis la mort de Sylvie, c'est ma mère qui semble vivre dans l'ombre de son fantôme. Depuis, voir ma mère ainsi inquiète toute notre famille, surtout ses parents. Ils viennent nous voir plus souvent depuis que ma mère est tombée malade. Un jour, le patron du bar a téléphoné pour demander pourquoi ma mère ne venait plus au bar, et mon père a fondu en larmes au téléphone. On essaye tous d'être fort, et de nous dire qu'un jour notre Marylin reviendra heureuse et prête à partager de la bonne humeur. Nous gardons le moral, comme elle nous l'a appris.
Des feuilles rouges automnales tombent des arbres chaque jour. Le ciel se couvre, et la fraicheur nous refroidit. Je fais à peine un pas dans le lycée que Mathis viens déjà vers moi. Il peut être sympa, mais insupportable. Il est déjà en train de me parler de filles, à côté de moi, debout. Il n'a pas la moindre idée que je me fous totalement de tout ce qui peut sortir de sa bouche en ce moment. Il me dit qu'il veut que je vienne en soirée avec lui. J'ai juste envie de le secouer violemment en lui demandant «EST-CE QUE TU PENSES VRAIMENT QUE J'AI ENVIE D'ALLER EN SOIREE ?» J'ai beau lui avoir pourtant parlé de ma mère et de mon envie de rester au près d'elle, il a l'air de ne rien retenir. Quand j'aperçois Samantha et Addison qui se rapprochent de nous, des prospectus à la main, je me demande quelles causes elles défendent cette fois. Encore les poubelles de tri qui devraient être installées dans la récréation, ou des magazines à disposition dans les salles de cours pour « s'instruire » pendant les pauses de récréations ? Si regarder des images de top model photoshopées s'appelle « du savoir », alors elles n'auront pas à s'embêter pour les études.

«- Si vous signez, un grand tournoi de basket sera organisé où nous affronterons d'autres lycées.
- Alors je signe !»

Mathis se retourne vers moi avec un grand sourire. Il attend que je prenne ce stylo et signe. Est-ce que j'en ai envie ? Il m'interroge du regard pendant que les deux filles s'impatientent. Je finis par prendre ce stylo et signer. Elles repartent le sourire aux lèvres. Un sourire si peu authentique. Je crois rêver quand je vois Mathis les suivre. Je n'arrive pas à entendre leur conversation, mais je parviens à la comprendre grâce aux regards dragueurs de Mathis et aux gloussements de Samantha et Addison. La sonnerie l'empêche de poursuivre sa conversation sûrement sans bien grand intérêt.
Rowan ne fait que de me parler de sa meuf. Il me dit qu'il l'aime que c'est l'amour fou, que c'est la femme de sa vie, bla bla bla. Pourtant, je ne l'ai vu que quelques secondes et j'ai déjà remarqué que quelque chose clochait. Elle n'avait absolument pas l'air amoureuse. Elle ne faisait même pas semblant. Elle regardait plus le sol que lui. Mais Rowan est trop aveuglé par leur « amour » pour s'en rendre compte.
Le professeur commence son cours. Je n'écoute qu'à moitié, mais quand il m'interroge, j'arrive à répondre parfaitement juste. Quand on a eu l'habitude de beaucoup participer, les professeurs veulent tout le temps nous interroger. Après ils écrivent que nous participons beaucoup sur notre bulletin, alors que c'est simplement eux qui passent leur temps à nous interroger. C'est ce genre de professeur qui n'arrive pas à garder une classe éveillée.
Une absence de motivation me hante ces derniers temps, comme une envie persistante de ne rien vouloir faire, comme si j'avais perdu quelque chose enfouit en moi, une sorte d'innocence enfantine. Quelque chose qui m'était indispensable avant, mais qui n'est maintenant plus utile de garder en moi...

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