Chapitre 9

31 4 0
                                    

Jordan

«Chaque chose en son temps.
Loris Murail.
»

Ding, dong.

Elle ouvre la porte d'entrée, et je la vois pour la première fois. Sa posture incommode, son visage naturel, sans artifices, ses yeux grands ouverts, ses cheveux rabattus en un espèce de chignon-cascade. Elle ne peut pas être plus jolie. Elle m'a transmis sa couleur de cheveux châtain, et ses yeux verts pomme. Ils semblent cernés, mais surtout troublés, perdus, elle essaye de détourner le regard, elle a du mal à me voir en face. Je baisse les yeux, embarrassé de cet accueil.
Elle avait dit qu'elle serait ravie de me rencontrer.
Elle finit par me faire entrer, mais une partie de moi pense qu'elle le fait à contre-cœur.
Sa maison est belle, je peux associer la décoration à son physique. Un homme se lève du canapé, un homme qui semble sérieux. Je remarque la bague à son doigt, et je regarde donc celle sur l'annulaire de ma génitrice. Je souris légèrement, et je vois qu'elle se force à sourire en retour. Elle ne semble absolument pas à l'aise. L'homme cherche des réponses dans le regard de sa femme, mais elle baisse les yeux.

«- Je suis content de vous rencontrer ; dis-je pour entamer la conversation, tandis qu'elle relève doucement la tête.»

Voyant qu'elle ne réponds rien, je lui propose de partir, ce à quoi elle répond par un hochement de tête. Je ferme la porte derrière moi, me retrouvant seul dans la rue. Je reprends une marche solitaire en direction de la gare. Je prends le premier train en destination de Paris. Je regarde la pluie tomber, les gouttes se multiplier, dans un ciel de tristesse.
Elle ne semble définitivement pas prête à rencontrer son fils. Je suis déçu, mais j'aurai dû m'en douter. C'est beaucoup d'émotions pour elle. Peut-être doit-elle aussi ressentir de la culpabilité de m'avoir abandonné. Ca ne peut être facile de rencontrer son propre fils qu'on a abandonné.
J'ai pu constater le chagrin dans ses yeux, l'adversité de l'adolescente qu'elle a été, ses sentiments exprimés par un regard tourmenté...

Je regarde ma copie cherchant quelle pourrait être la réponse idéale. La réponse qui montre que je connais mon cours, que je ne cherche pas à décevoir le professeur. Je me retourne pour observer les autres élèves. Un élève est à moitié endormi tandis que Mathis joue avec la fermeture éclair de son manteau. Est-ce que je me prends trop la tête ? A quoi cela va-t-il me servir d'exceller au lycée ?
En sortant de la classe, Mathis me rattrape.

«- Hé, ça fait longtemps !
- Oui.
- Quoi de neuf ?
- Rien, rien.
- On dirait qu'il ne se passe jamais rien d'intéressant dans ta vie, dit-il, comme si ces mots ne pouvaient pas me blesser.
- On a pas la même notion de ce qui est intéressant.
- T'as réussi le contrôle j'imagine, fait-il remarquer comme si cela l'importait vraiment. Je lui réponds mais c'est à peine s'il m'écoute, trop occupé à saluer quelqu'un qui vient de passer.
Lorsque je rentre, je n'ai qu'une seule envie, parler à Lilith.
Je lui envoie alors un premier message. Simple, efficace pour commencer une conversation :

«Salut.»

Elle ne met pas trop de temps à répondre.

«Salut. Merci de m'avoir écouté la dernière fois.»
«De rien. Tu avais besoin d'aide.»
«Tu sais, je n'ai pas l'habitude de me confier.»
«Alors pourquoi le fais-tu ?»
«Parce que je me sens à l'aise. Et toi, pourquoi tu veux nous aider ?»
«J'aime aider les autres. Ça me fait de la peine de voir les gens malheureux.»
«Rowan n'est pas malheureux.»
«Mais toi oui.»
«Ta pitié ne changera rien.»
«Tu penses que Rowan aime les hommes ?»
«Non, définitivement pas. Je sais qu'il m'aime. Il ne m'offre simplement pas ce dont j'ai besoin.»
«Qu'est-ce qui est le plus important dans une relation selon toi ?»
«La communication, le dynamisme, et l'amour. Dans les deux sens. Et pour toi ?»
«Selon moi, comprendre l'autre et le soutenir est essentiel.»
«Tu as déjà était amoureux ?»
«Oui, mais jamais très longtemps et toi ?»
«Moi aussi.»

Je balaie les images qui me viennent en tête, de la fille que j'ai aimée. Celle pour laquelle j'ai cru que ce serait pour toujours, mais que la simple évocation de son nom me dégoûte à présent.

Elle change de sujet :
«Tu as une vie parfaite toi ?»
«Non. La perfection n'existe pas. Ça serait trop ennuyeux.»
«Mais sincèrement, tu as des problèmes ?»
«Ben j'ai appris il n'y a pas longtemps que je suis adopté.»

Je sais pas vraiment si j'aurais dû le dire. Comme ça. Mais c'est trop tard, elle a vu le message.

--------------------------------------------------------------
Merci beaucoup d'avoir lu :)
Si vous appréciez, vous pouvez appuyer sur le bouton pour voter (l'étoile)

Always trust our feelingsWhere stories live. Discover now