PARTIE 1: Émile - samedi 19 octobre

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Les applaudissements sans fin emplissent la salle. Tout le monde est debout, les visages sont heureux, l'ambiance chaleureuse. C'est comme si, l'espace d'un instant, l'égoïsme de chacun avait disparu pour laisser place à une fraternité naturelle.

Moi, assis sur la chaise haute qui surplombe la scène en bois, je souris. Je souris à cette foule qui m'acclame, ma guitare dans les mains, mes cheveux tirés en arrière par une demi-queue de cheval. Bien que ce ne soit pas la première fois, ça me fait un bien fou. Ils m'acclament, moi l'étranger, celui qui ne connaît pas ses origines, celui qui a été adopté.

Avec mes yeux bridés profondément noirs et mes cheveux désespérément lisses et sombres, personne ne pourrait nier mes origines asiatiques. Même avec ces lentilles qui me font des reflets bleutés. Et pourtant, je ne suis pas célèbre là-bas mais bien ici, comme si j'étais réellement né sur cette terre qui ne m'appartient pas.

Comme à mon habitude, je parcours la salle du regard. Je cherche en vain, j'en suis bien conscient. Pourquoi donc cette personne serait-elle là cette fois-ci ? Quelqu'un qui n'est jamais présent ne se pointera pas un beau jour comme par magie, je le sais. Mais cette saleté d'espoir s'accroche à moi, m'empêchant d'accepter cette réalité.

Après un dernier salut, je quitte la scène et retrouve avec soulagement le calme des coulisses. Même si les applaudissements me font me sentir bien, je n'ai jamais été vraiment à l'aise avec le bruit, il me dérange plus qu'autre chose. Un paradoxe de plus dans ma vie compliquée.

- Ça va mon grand ?

Je lève les yeux vers Isidore, mon manager. Ses yeux marron sont remplis d'une bienveillance sans limite, d'une chaleur rassurante et d'une gentillesse sans équivoque. Je n'aurais pas pu tomber mieux, et je dois avouer que je me demande parfois s'il est vraiment réel.

Je hoche la tête pour le rassurer, mais je vois bien qu'il ne me croit pas. Comment le pourrait-il ? Il doit sans doute se rappeler mon premier passage sur scène. Passage après lequel je me suis complètement effondré en pleurs dans ses bras. Pareil pour la fois d'après. Et pour celle d'encore après. Et...

Bref. Ce n'est que récemment que j'ai arrêté de m'écrouler après un concert. Est-ce que je commence à accepter la réalité ? Ou bien est-ce que le dicton dit vrai, « loin des yeux, loin du cœur » ?

-Ne t'inquiète pas Isis, ça va.

- Je ne t'avais pas demandé d'arrêter de m'appeler comme ça ?

J'esquisse un léger sourire.

- Si, au moins une bonne dizaine de fois. Faut croire que tu n'as aucune autorité naturelle !

C'est au tour de son visage de s'éclairer. Lorsque je plaisante comme ça, c'est que je vais bien. Enfin, si se sentir bien signifie réussir à ignorer la douleur persistante qui règne dans mon cœur. J'ai l'impression que cela fait si longtemps depuis qu'elle est présente que je me souviens à peine d'un moment où elle n'existait pas.

- Allez, va te reposer petit insolent.

- Oui chef ! je m'exclame en me mettant au garde-à-vous.

J'ai beau avoir la vingtaine, j'adore toujours autant faire le gamin. Ça me donne l'impression de revenir à l'époque de mon enfance, quand rien n'était compliqué. Ou plutôt quand tout était plus simple ? Dans un sens ou dans l'autre, c'est sans doute l'une des deux périodes les plus heureuses de ma vie. L'enfance et ma deuxième année de troisième.

Je secoue la tête, libérant mes cheveux. Ils m'arrivent juste en-dessous des épaules, une coupe dont je ne parviens pas à me défaire. Après tout, c'était celle-là que j'avais quand j'ai rencontré cette personne... C'est logique que je m'accroche au peu de choses qu'il me reste d'elle. Non ?

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesWhere stories live. Discover now