Chapitre 3, Première partie

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Arène. Entrechocs. Épées. Esclaves.

La fosse. Un puits de terre entouré de longues colonnades ; des spectateurs parés de riches drapés se cachaient derrière des masques, contemplant sous eux, la masse informe des lycaons qui se déchirait. Le bruit des sabres qui frottaient sur les griffes, le chant du sang qu'on épanchait. Et au milieu de tout cela, comme le ronronnement d'une machine, le battement des fouets sur le dos des fuyards. Le martèlement des tambours, et par dessus tout, le tonnement d'une voix : celle du maître-esclave. 

Kordai suivit le garde jusqu'au bout du précipice. On l'y projeta, avec les autres. Lorsqu'il se releva, le lion en uniforme rouge et noir, le surplombait de sa hauteur, arborant un sourire cynique.

-  Bas-toi ! Ordonna Modi, le maître-esclave, en pointant sa griffe vers le nouveau venu. Les faibles n'ont pas leur place dans l'arène.

Le Lycaon comprenait.

Les faibles n'ont pas leur place dans l'arène.

Les plus faibles mourront. Kordai ne voulait pas mourir. Entouré de tous ses frères de race. Lycaons. Figure féline au museau prononcé. Yeux de chiens. Voix qui siffle plus qu'elle ne parle. Lycaon. Être inférieur. Esclave. Dans la fosse, Kordai pouvait voir des êtres fragiles se transformer en bêtes. Animal, ce regard, sauvage ce rictus, cette grimace aiguisée. Rage dans cette bave le long de la mâchoire, de longs filets qui se mêlaient au sang des plus faibles. Ceux qui n'atteindrons jamais l'arène. Odeur de la chair, parfum de la mort. Kordai, une proie parmi d'autres, un prédateur parmi d'autres.

Lorsqu'un lycaon se jeta  dans sa direction, les crocs couverts de sang encore chaud, les yeux fous et plein d'une rage animal, Kordai vit la fureur dans son regard, et il comprit se qu'il devait faire pour survivre. Il s'abandonna comme les autres. Il ne serait plus le lycaon chétif que l'on abuse. Il ne serait plus le faible félin qu'il était. Il deviendrait autre chose. Ses griffes se raidirent, ses crocs s'effilèrent comme des couteaux. Ses yeux d'un vert pur se teintèrent d'une rage noire. Sa gueule se referma sur la gorge de sa victime ; le liquide cramoisi s'écoulait intarrissable. C'était la première fois que Kordai atteignait cet état second. 

C'était la première fois qu'il tuait.


***

L'esclave saisit le nœud de cuir autour de son cou, cherchant un moyen pour réduire son étreinte, mais en vain : la lanière ne bougeait pas.

-C'est pas la peine, dit un autre lycaon dans son dialecte. Moi c'est Orai. Ne touche pas au collier. Ils le verront et te puniront.

Kordai resta silencieux. Dans la cellule voisine, il ne pouvait dans l'obscurité, qu'imaginer le fameux Ordai. Il n'arrivait pas à deviner combien d'autres esclaves restaient enfermés dans les cachots souterrains. Dans ce long boyau de ténèbres, pas une torche ne venait les éclairer. Plongés dans le noir complet, leurs sens exacerbés ; le moindre son, la moindre plainte venait crever le silence. L'anxiété semblait corrompre l'air, lourd et suffocant de souffrance et d'incertitude. Mais le pire encore habitait ces formes muettes, respirant à peine. Les lycaons gisaient immobiles, plongés dans la torpeur, collés aux parois froides et humides, le plus loin des barreaux, se recroquevillant devant la lumière qu'ils craignaient, voir trouvaient douloureuse, car quand elle venait vous chercher, vous aviez peur, peur de remonter à la surface, peur de ce qu'elle vous promettait.

- Tu ne parles pas beaucoup, hein. Tant mieux. Garde tes forces, tu vas en avoir besoin. Tu n'as jamais été dans l'arène, hein ?

Kordai ne dit rien.

-Donc t'y a jamais été. Retiens juste une chose, petit : ne fais pas de vague. Sois pas le meilleur, mais pas le plus mauvais non plus. Ils mettent des pièces sur ta tête, tu vois. Et plus il y a de pièces, plus tu as de chance de te faire tuer. C'est Modai qui décide de tes pièces, et les Chasseurs, eux, ils te tuent. Pour tes pièces. Tu comprends ?

Des bruits de pas résonnèrent dans le tunnel sans lumière et une torche éclaira les pierres couvertes de moisissures. Des grilles s'ouvrirent non loin d'eux, puis les bruits de corps qu'on glissait sur le sol. Lorsqu'un gardien s'arrêta devant sa cellule, le même qui l'avait poussé dans la cour, le lycaon se replia sur lui-même. Le lion ouvrit sa cage et traina presque l'esclave jusqu'à la surface. La lumière fit mal aux yeux du jeune félin. A l'arrière, tous les lycaons s'étaient tus. Lorsque la lumière disparu, les gémissements reprirent, plus entêtant encore.

Rois : chroniques des terres d'AstalWhere stories live. Discover now