Chapitre 5, Deuxième partie

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Matae, la tenancière du Python blanc était inquiète. Depuis quelques temps, les elus semblaient tendus, les tigres disparaissaient vers le sud, les chats se méfiaient des montagnes. La lynx, lissait le pelage de sa fille avec sa patte. Cela la détendait. Au travers des cloisons de papier, la féline distinguait la neige. Le temps se faisait froid, Mala en avait décidé. La tenancière défit les derniers nœuds, puis, vint clore la fenêtre avec un volet. Elle borda sa fille puis quitta la pièce, incapable d'alléger son cœur lourd d'appréhension.

Elle pouvait entendre en bas son époux revenir de leur auberge.

-Des clients violents ? demanda-t-elle dans la langue liquide des lynx.

Mais son mari ne répondit pas.

-Okam, appela Matae. Que se passe-t-il ?

Son mari monta les escaliers très vite, sans un regard pour sa femme. Elle le suivit, de plus en plus anxieuse. Il ouvrait les portes sans ménagement, dégageait les tentures de lin, froissait les housses. Finalement, il dépoussiéra une grande malle en bois noire. Matae déglutit. Okam ouvrit chaque verrou d'une clé différente, actionna plusieurs mécanismes dissimulés. Des cliquetis métalliques retentirent. La féline s'approcha. Elle savait déjà ce qu'elle allait voir. Dans la boîte noir, à couvert de l'obscurité, un seul rayon semblait encore témoin, entre les volets, du solennel évènement. Okam saisit le long sabre dans son fourreau, recouvert de gravure et de nom, des hiéroglyphes contant l'histoire de l'arme. Sa poignet était scellée, cachetée d'étain. D'une griffe, le lynx cisela la pièce, libérant la lame. Elle était d'une froideur mortelle, d'une blancheur, d'un éclat inégalée, comme toutes les armes lynx. Un bel ouvrage, un chef d'œuvre.

Matae en pleurerait presque. 

Okam rangea le sabre et lui tendit le fourreau. Ses deux pupilles plongèrent dans les siennes et elle sut ce qu'elle devait faire. La féline quitta la pièce sans un regard en arrière ; l'arme en main, elle alla chercher ses deux filles et son fils. Ils furent armés tour à tour, dans un rituel. Puis ils sortirent la tête basse. Pour eux, plus de retour. Dans la nuit noire, le chant d'un hibou résonnait, mais point d'animaux cette nuit là, le cri était artificiel. Un signal. Tous les lynx en connaissaient le sens.

Les lions étaient étrangement absents de leur lit, comme l'avait constaté l'aubergiste. Les lynx quittèrent leur foyer par une autre porte, un puit dissimulé derrière une congee de glace. Ils ne portaient qu'un manteau de voyage et des vivres pour quelques jours, en plus de leurs armes, qui pendaient maladroitement sur leur flanc. Guettant autour d'eux le moindre son, la moindre voix. Les lynx étaient les enfants de la montagne. Les enfants du silence. Et pour cette nuit, ils écoutaient. Le vent, qui soufflait sur leur pas, le propre chant de leur démarche, au long murmure de la neige. Au loin, il commençait à percevoir les prémices de la guerre. Dans les rues, défilaient les elus, dans leurs plus beaux costumes. La lune dessinait sur leur poitrail métallique un soleil rouge. Un soleil qui dans le noir était d'un mauve pâle, un soleil malade. Matae tira sur la manche de son enfant, alors qu'un soldat passait non loin de là. Dans l'enchevêtrement des maisons, les lynx se reconnaissaient, se rejoignait, se guidait. Il n'attendait que le bon moment pour fuir.

Peu à peu, ils abandonnaient leur village, pas à pas. Okam caressa la joue de sa femme alors qu'ils traversaient une frontière invisible entre PorteBlanche et la montagne. Le départ d'une vie. Derrière eux, ils laissaient tout, ne gardait que l'essentiel.

-Nous reconstruirons, lui murmura son époux avec amour.

Elle lui assura que oui. Son dernier regard se porta sur la silhouette de la ville, jetée aux assaillant, ses maisons noires, ses toits de chaumes bleus, qui dans la nuit, disparaissaient.

Dans les rues, des torches flamboyaient, elles crépitaient, bruyantes, rumeur de l'invasion. Matae se souviendrait de cette musique-là. Les tintements du métal, les portes de bois qui craquelaient sous les coups. Ou encore, le son des épées qu'on brandissait. Au loin, le vent portait longtemps le cri du meurtre. Tous n'avaient pas pu fuir, personne ne s'était rendu. Matae quitta le funèbre spectacle. Elle ne reviendrait plus sur cette terre, elle n'y avait plus sa place.




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⏰ Dernière mise à jour : Feb 10, 2016 ⏰

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Rois : chroniques des terres d'AstalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant