chapitre 1: Sam

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Quatre ans que tout a basculé dans ma vie. Du bonheur, je suis passée au malheur. Qui l’aurait cru ? Certainement pas moi. Seulement, le destin en a décidé autrement pour la criminelle que j’étais. Cet enfoiré a emporté, dans son sillage, les deux êtres que j’aimais le plus au monde, Juan et notre bébé. Je me souviens encore de l’annonce de leurs morts comme si tout s’était produit la veille.
— Promets-moi de te reposer et de prendre soin de notre futur bébé, me dit Juan.
Il m’embrasse sur tout le corps avant de s’arrêter sur mon ventre arrondi de six mois.
— Je te jure de respecter les consignes du médecin, le rassuré-je en caressant ses cheveux.
— Putain ! Je n’arrive pas à croire que nous allons être séparés autant de temps, soupire-t-il, agacé.
— Juan, tu pars que pour six semaines, tu le sais, hein ? me moqué-je.
— Ouais, mais sans toi, ce n’est pas pareil. Nous sommes une équipe, un duo de choc indissociable.
Tout comme lui, c’est ce que je pensais, jusqu’à ce fameux soir de mars, soit trois semaines après son départ.
Mon beau-père, Anita et mes parents se sont pointés à ma porte, un jeudi soir. Je me suis redressée sur le canapé, surprise de les voir débarquer chez moi tous les quatre. Des frissons ont parcouru mon échine, signe d’un danger ou de mauvaises nouvelles. Évidemment, quand ils pénètrent dans mon salon, m’obligeant avec bienveillance à m’asseoir, je ne comprends rien de leur changement d’attitude envers moi. Sauf, quand mon regard s’accroche à celui de Julian. Ma tête se met à tourner et à la vue de leurs visages, quelque chose vient de se produire. Je le ressens au plus profond de mon être, sans qu’aucun d’eux ne prononce le moindre mot. Je me lève, une main posée sur mon ventre, l’autre sur la bouche. Je laisse ma famille pour courir aux WC, vomir le contenu de mon estomac. Ma mère et Anita me suivent, m’aidant à me relever et surtout à me maintenir, car toutes mes forces viennent de déserter.
— Ça va aller, ma chérie, je te le promets.
Pourquoi prononcent-elles de tels mots ? Je reprends un instant mes esprits en les observant une à une, pour déceler une faille. Je la trouve auprès d’Anita, qui me paraît plus effondrée que les trois autres personnes m’entourant.
— S’il vous plaît, dites-moi ce qui se passe à la fin ?! demandé-je à bout de nerfs.
— Sam…
— Bordel, balance Anita ! crié-je, en serrant mes poings.
— C’est… C’est… Juan, il a été abattu, pleurniche-t-elle en se retenant au bras de Julian.
— Quoi ?! C’est impossible ! Jamais il ne nous abandonnerait, pas lui, putain !
— Ma puce, hélas, c’est la vérité, prononce mon père blanc comme un linge.
— Non !! Vous mentez, je ne vous crois pas ! Dégagez de chez moi ! hurlé-je.
Pourtant, tout mon corps m’indique que c’est bel et bien la vérité. J’ai du mal à respirer, ma vue se brouille, mon cœur se comprime dans ma poitrine, mes oreilles sifflent. Un flot de larmes s’écoule sur mes joues. Mes genoux cognent le sol, mon buste se penche en avant, de lui-même, pour me protéger du mal qui me ronge et me bouffe à petit feu. J’étouffe, ma vie vient de s’arrêter. Des bras m’entourent, mais ce ne sont pas les siens, ce n’est pas son odeur. Je me débats de cette emprise qui m’oppresse, tentant de me contrôler pour le seul être qui m’unit encore à Juan.
Malheureusement, quelques jours après l’annonce de la mort de mon âme sœur, j’ai perdu notre bébé dû au stress et à la douleur. À mon arrivée à l’hôpital, le choc de sa perte a été tellement violent, que les médecins n'ont rien pu faire pour le sauver. J'ai appris ce jour-là que c'était un garçon, il a voulu retrouver son papa. Moi, j'ai rêvé de les rejoindre, anéantie par la douleur, la peine et la colère qui s'infiltraient dans chaque cellule de mon corps.

Aujourd'hui, je suis vide de tout sentiment, le mot Amour ne fait plus partie de mon dictionnaire.
Dorénavant, tout a changé, je vis uniquement pour assouvir ma vengeance. Au point d'avoir coupé tous les liens me rattachant à lui, afin de redevenir celle que j'étais, une tueuse à gages sans pitié. J'incarne le mal et continuerai jusqu'à ce que je retrouve celui qui a exécuté Juan de sang-froid. Alvaro Torrente est devenu ma priorité, ma proie.
Depuis un an que je vis au Brésil. Chaque jour qui passe, je traque, tue sans pitié tout ce qui se rattache à l'homme qui m'a tout pris. Je sais où il réside grâce aux renseignements obtenus par mes différents indics que j'élimine pour éviter d'être prise au piège. Seulement, je n'avais pas prévu dans mon équation que l'un de mes ennemis, Carlos Santos, soit toujours en vie et fasse partie du Cartel de ma proie. J'ai appris récemment qu’il était le second de Torrente, que j'abattrai coûte que coûte. Même si pour ça, je dois éliminer toutes les personnes se trouvant sur mon passage. Je vais devoir redoubler d'efforts et d'ingéniosité pour me charger d'eux. Intégrer le cartel était l'une de mes premières idées. Malheureusement, j'ai dû changer mes plans au risque de me faire reconnaître par Carlos. Je reviens au présent quand mon téléphone sonne, c'est Alma, une de mes connaissances.
— Salut, ça te dit de passer la soirée chez moi ?
— J'en sais rien, râlé-je, épuisée de ma journée de traque.
— Très bien, dans ce cas, on sort.
— Sans moi.
— Non, mais sérieux, dis oui ! Les chefs des Demônios de Fogo (les démons du feu) viennent au resto où je travaille. J'aimerais bien approcher l'un d'eux. Est-ce que j’ai bien entendu ? Voilà peut-être l'opportunité que j’attendais.
— Ah oui et qui ? demandé-je, curieuse.
— Carlos Santos.
    Bingo ! Maintenant, il ne reste plus qu'à appâter le requin.
— OK, dans ce cas, j'arrive.
Ni une ni deux, je prends des accessoires, quelques fringues et cours en direction de ma bagnole. J'arrive une demi-heure plus tard devant sa porte. Quand Alma m'ouvre, je grimace face à sa tenue.
— Salut, tu comptes sortir comme ça ? l'interrogé-je en désignant sa robe trop longue pour attirer l'œil.
— Pourquoi ? Elle est parfaite cette tenue.
— Je ne crois pas, non. Tu en as une plus moulante et décolletée ?
— Euh… oui.
— Parfait, va te changer, la conseillé-je.
— Attends, quoi ? balbutie-t-elle, choquée.
— Tu ne vas pas l'attirer dans cet accoutrement. Je reviens et fais-moi le plaisir de quitter cette horreur.
Je m'empresse d'emprunter sa salle de bain pour procéder à une transformation. Je sors une heure plus tard avec une perruque rousse sur la tête, une paire de lunettes sur le nez et des rides que j'ai dessinées sur mon visage. Personnellement, je ne regrette en rien les cours de maquillage que j'ai pris quelques mois auparavant en France. La preuve, je suis méconnaissable. Bon, faut reconnaître que j'ai mis le paquet avec ma tenue de grand-mère.
— Sam, tu plaisantes là ?
— Non, je ne veux surtout pas te faire de l'ombre, la rassuré-je.
— N'importe quoi, je connais ma valeur, mais franchement, tu es chiante à vouloir changer d'apparence.
Alma me gonfle parfois, je me demande encore comment j'ai accepté le contact avec cette femme. Ah oui, c'est vrai… J'étais tellement ivre à mon arrivée dans le resto où elle bosse, amochée à la suite d’une bagarre que j'ai déclenchée, submergée par les souvenirs, que cette latina m'a proposé son aide pour me raccompagner jusqu'à mon hôtel. Elle m'a soignée, sans me poser de question, puis est revenue me voir le lendemain. Je l'ai croisée plus d'une fois devant mon hôtel pour venir prendre de mes nouvelles et aujourd'hui, cette fille me prend pour son amie.
Non, mais sérieux, qu'est-ce qui m'a pris ?
— On y va ?
— Je te suis.
La porte verrouillée, nous rejoignons le parking de sa résidence pour prendre la direction de son boulot, au centre-ville de São Paulo. Devant la devanture rouge du « Pongo », je contracte la mâchoire et serre mes poings d'excitation mélangée à la colère qui bouillonne dans tout mon corps. Dans quelques minutes, je me trouverai à quelques mètres de ces fils de pute. Je ne pourrai rien tenter, même si l'envie de les voir crever, un à un, sous mes yeux est excitante.
— Sam, tout va bien ? Tu es toute rouge.
— Oui, ça va t'inquiètes, j'ai juste un peu chaud.
— C’est ça, je vais te croire. Avoue-le, il te plaît aussi le beau brun ténébreux assis à la grande table du fond.
— Pardon ? m'étouffé-je presque avec ma salive en découvrant qui elle me désigne du menton.
— Rhô, arrête, toutes les femmes que je connais dans cette ville rêvent d'être dans le lit de Carlos Santos, murmure-t-elle.
Bon sang, elles sont dingues ! Cet homme est un pervers, violent et taré. Je ne comprends pas comment elles peuvent être attirées par ce genre de mec ?
— Franchement, ce n'est pas du tout mon style, sache que j'ai mis une croix sur le mot “homme”.
— Sérieux, tu plaisantes là ?
— Non !
— Par moment, j'ai l'impression de ne pas te connaître, soupire-t-elle, blasée.
Il vaut mieux pour sa survie. Moins elle en sait sur ma vie, en particulier sur mon passé commun avec Carlos, plus ses chances de survivre augmenteront. Je ferai tout mon possible afin que ça reste le cas.
— Arrête de raconter des conneries, tu veux ? Allez viens, allons nous asseoir, j'ai faim.
Elle secoue la tête, effarée par mon changement d'attitude, avant de suivre le serveur qui nous place à proximité des mafieux. À notre approche, le visage d'Alma se transforme, ses joues prennent une teinte rosée, puis un sourire rayonnant de joie se dessine sur ses lèvres. Elle est vraiment sous le charme de l'ennemi, mais est-ce que ça va être le cas pour Carlos ? Je ne vais pas tarder à le découvrir, puisque son regard onyx vient de se poser sur mon accompagnatrice qui rougit de plus belle. Allez, lève-toi et viens mordre à l'hameçon.
— Ma belle, arrête de gigoter comme ça, sinon il ne viendra pas.
— Comment peux-tu en être aussi sûre ?
— Mon expérience. Calme-toi, prends ton verre puis fais abstraction de sa présence. Ne prends surtout pas exemple de toutes les pétasses qui l'entourent, tu verras, il viendra de lui-même.
— Tu as raison.
— Bien, on peut commander maintenant que tu es plus calme ?
— Oui.
D'un signe de main, j'interpelle un collègue d'Alma qui note nos choix sur son calepin. Dix minutes passent avant que nos entrées soient déposées devant nous.
— Bon appétit.
— Merci, répondons-nous à l'unisson.
Nos hors-d'œuvre terminés, c'est autour de nos plats, puis de nos desserts. Je termine de déguster la mousse aux fruits de la passion, lorsque Carlos se présente à notre table, accompagné de deux gardes. Enfin, il en a mis du temps pour réagir.
— Bonsoir, madame, mademoiselle, puis-je m'installer à votre table pour vous offrir un rafraîchissement.
Non, mais il est sérieux ? C'est quoi ce ton employé puis cette soudaine politesse ?
— Bonsoir, oui, bien sûr, je vous en prie, réplique ma comparse.
Allez et maintenant, c'est au tour d'Alma. À quoi ils jouent tous les deux ? Je suis à deux doigts de me tordre de rire.
— Garçon ?! interpelle-t-il le serveur, une tequila et pour ces dames ?
— Deux cafés, s'il vous plaît, interviens-je tout en me contenant afin d'éviter de lui sauter à la gorge pour le massacrer.
Le reste de la soirée, je le passe soit aux toilettes, soit à l'extérieur. Alma gère à la perfection leur rencontre, ce qui m'arrange pour approcher celui qui autrefois faisait partie de la famille de Juan. En songeant à mon amour perdu, mon cœur se comprime dans ma poitrine, les larmes menacent de passer le barrage de mes cils. Je m'empresse d'extraire un mouchoir pour tamponner la seule goutte d'eau qui a réussi à se frayer un passage. Je reprends mes esprits, la peine ne m'aidera en rien à obtenir vengeance. Une fois plus sereine, je pénètre à nouveau dans l'enceinte. Au loin, j'aperçois Carlos écrire quelque chose sur son téléphone avant de se lever, puis de déposer un baiser sur la main d'Alma. Ses pupilles noires obscures me détaillent un instant, un rictus se crée aux coins de ses lèvres au fur et à mesure qu'il se rapproche de moi.
Merde, j'espère qu'il ne m'a pas reconnue.
— Votre amie Alma est charmante, j'espère la revoir prochainement. Bonne soirée.
   Je confirme, il a réellement pété une durite. Ce n'est plus le même homme ou alors, il interprète un rôle qu'il joue à la perfection. Je me méfie toujours autant de lui et de ses nombreuses facettes. Je verrai bien avec le temps. Le principal pour moi, c'est qu'il soit tombé dans le panneau sans même s'en rendre compte.

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