Chapitre 32

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Joy attendait, plus tendue qu'elle ne voulait l'admettre. Assise jambes croisées devant une petite table ronde, une main autour de sa tasse de thé qu'elle n'avait pas touchée, elle regardait la cheminée. Ses yeux étaient absorbés par les flammes.

C'était ostentatoire, une cheminée dans une villa, surtout dans un lieu à l'architecture épurée, aux grandes colonnades blanches, aux pièces sans porte ouvertes aux brises, dans une ville où il faisait rarement froid, mais Moira n'avait jamais eu le sens ni de la décoration ni de la simplicité. La cheminée était là pour réchauffer des cœurs et des corps qui n'avaient pas besoin de chaleur.

C'était une lubie de Moira, comme si partout, en tout temps, chaque lieu qu'elle habitait devait porter le foyer d'un feu.

Joy se perdait dans la danse du brasier, cherchait les étincelles, observait ces flammes dévorer la bûche, ronger sa surface, rougir puis noircir son écorce. C'était aussi envoûtant que dangereux.

N'avait-elle jamais eu aussi peur du feu que depuis qu'elle avait rencontré Noham ?

N'avait-elle jamais eu aussi peur de souffrir ?

Un seul homme brûlera d'un amour sincère pour toi. Cela vous consumera. Cela te dévorera car tu ne pourras jamais l'atteindre. Le feu dévore les fleurs. N'était-ce pas ce que cette voyante avait dit il y a si longtemps ? Les souvenirs se mélangeaient. Joy lui avait ri au nez, amusée par tant de mièvreries.

Qui aurait dit que cela arriverait vraiment, que la prédiction se ferait au pied de la lettre ?

Elle était jeune, puérile, arrogante et naïve aussi. Terriblement. Tant de choses étaient passées. Tant de souffrance et de bonheur aussi. Il y a eu tant d'histoires comme de dizaines de vies qu'elle avait incarnées.

Elle avait été persuadée d'avoir aimé.

Jusqu'à venir au manoir d'Andrea, il y a des années de cela.

Jusqu'à le voir et sentir au plus profond d'elle-même une émotion beaucoup plus brûlante.

Vos cœurs sont sincères, lui avait murmuré Andrea alors qu'elle était alitée après un baiser, un simple baiser.

Un geste innocent, promesse d'espoir, qui s'était transformé en ravage.

Mais vos pouvoirs ne s'accordent pas, ils ne le peuvent pas. Le feu brûle la terre, Joy.

Ce qui faisait sa fierté, sa particularité, devenait sa malédiction.

Il n'y aurait plus jamais de baisers, de sourires, de mots voilés, d'effleurements et de regards. Ne resteraient que le cœur qui bat et cette impression terrible que le destin s'était joué d'eux. Cruellement.

Un raclement de gorge la tira de ses pensées et elle se redressa légèrement. Un domestique balbutia :

— Pardonnez-moi de vous déranger mais un message est arrivé pour vous.

Elle se releva, abandonnant sans un regard en arrière son thé froid et le majordome lui tendit un carré de tissu.

— Pouvez-vous me préparer une voiture ?

Il acquiesça et elle serra le carré de satin dans sa main. Sa tension était à son comble mais elle se sentait bien. Mieux qu'elle ne l'avait jamais été, comme après s'être repue d'une gorgée de sang frais et de quelques heures de sommeil.

Elle devait agir vite.

*

Le haut lieu de Lutecia n'était pas l'ancien palais royal avec ses jardins luxuriants mais la Fabrique, l'espace qui contenait l'intégralité des créateurs de ce monde, bijoux, objets, vêtements, technologies et avancées scientifiques. C'était grâce à ça que la capitale du secteur un se targuait d'être supérieure aux autres.

Le Manoir - Tome 2Where stories live. Discover now