Chapitre 32

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La lumière blanchâtre des phares tranche l'obscurité. Des ombres furtives ondulent entre les pins décharnés. La voiture, dont le moteur ronronne, cahote sur la route tortueuse. Nous roulons depuis plus de dix minutes au milieu de cette forêt silencieuse, et la surprise concoctée par Sam demeure un mystère. Les mains enroulées autour du volant, et le visage éclairé par la lueur rouge des cadrans, celui-ci fixe sans relâche le gouffre insondable étendu devant nous.

J'imagine Adam, sprintant entre les arbres et pulvérisant ses poumons de fatigue, pour échapper aux griffes de son prédateur, comme je l'ai moi-même fait lors de ma vision au cimetière. Pour quelle raison s'est-il aventuré dans les bois cette nuit-là ? Lui a-t-on donné rendez-vous ? Connaissait-il son meurtrier ? Un employé de la scierie, un forestier ou un élagueur... Tous ont vu leurs alibis avérés. Un chasseur ? Oswald Beaver me vient en tête. Les nombreuses photographies entourées de trophées de chasse dans sa réception confirment sa passion pour la mort ainsi que son amitié avec Rick Taylor. Il connaissait Adam, l'a vu grandir sans doute. Il y a aussi cette histoire de cheveu, retrouvé dans la voiture du couple Moore. Le vieil homme a prétexté une panne, mais est-ce vraiment le cas ?

Je pose ces réflexions dans un coin de ma tête. Je suis là pour profiter, non pour enquêter sur tous les décès de la région. Sam a raison : je dois apprendre lâcher prise pour me laisser porter par les vagues, sinon je vais finir par couler.

— Ça ne dérangeait pas Chloe ? demandé-je pour briser le silence.

— Quoi donc ?

— Nous deux. Cette soirée. Tu as quand même réquisitionné la voiture.

— Ne t'inquiète pas. Chloe est une grande fille, et puis, elle a sans doute diné avec Mike. Ou Emmy, une copine.

— Ils sortent ensemble tous les deux ?

Sa déception inscrite sur son visage lors de l'annulation de son rendez-vous le soir du réveillon, me revient. Une moue défigure les traits de Sam.

— Plus ou moins. Mike semble assez réticent à s'engager. Je lui ai conseillé de faire attention, de ne pas trop espérer. Le jeu de chat et la souris à la longue, ça fatigue. Jake agissait de la même façon.

— Ça a duré longtemps entre vous ?

La route forme une fourche encadrée par d'imposants pins dressés de part et d'autre. Le tic-tac du clignotant résonne dans l'habitacle, puis, sans hésitation, la voiture s'engage lentement sur le chemin de droite, serpentant vers des hauteurs obscures. Le faisceau des phares balaye des nuées de poussières melée à des insectes qui dansent devant nous. Me penchant sur le tableau de bord, je lève les yeux en direction des cimes. Les branches entrelacées forment une canopée impénétrable, étouffant la lumière des astres, comme si le ciel lui-même avait disparu.

— Assez, oui.

— Que s'est-il passé ? m'enquiers-je.

— Et moi qui croyais ma mère curieuse... Je lui ai demandé de m'épouser et il a dit non.

— Oh. Je suis... désolé.

— C'était il y a longtemps, je m'en suis remis. Avec le recul, ce mariage n'aurait pas duré. Jake est un enjôleur. Il adore plaire. C'est son plus gros défaut. Il m'aimait. Ça, je n'ai nul doute là-dessus. On ne partage pas treize ans de vie avec une personne, si on ne l'aime pas. Mais sa conception du couple était différente de la mienne. Il prenait plaisir à flirter. Ça le rassurait, je pense. Mais à la rigueur... je l'avais accepté par amour. Jake a refusé la bague parce que je cite : il voulait conserver sa liberté, avoir le choix de partir un jour sans les inconvénients du divorce. C'est là que j'ai compris qu'il ne m'aimerait jamais comme moi, je l'aimais. Alors, je lui ai donné ce qu'il voulait : sa liberté.

Le Passé Ne Meurt Jamais [En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant