Chapitre 52

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L'estomac nouée, je pénètre dans la chambre plongée dans une semi-obscurité. L'odeur si singulière de l'hôpital, mélange de malades et d'antiseptique, remplit l'air. Je me pétrifie en découvrant Sam, le crâne enroulé de gaze et de profondes crevasses sous les yeux. Sa barbe s'est épaissie après plusieurs jours sans soin. Une perfusion serpente depuis un porte-sérum pour s'écouler dans son corps par le biais d'une seringue. Sur sa gauche, des moniteurs, dont l'un souligne chaque pulsation cardiaque d'un bip régulier, indiquent ses constantes. Je me sens démuni face aux écrans clignotants. Les graphiques et les chiffres forment une langue incompréhensible, mais d'après leurs couleurs vertes, j'en déduis que ses signes vitaux correspondaient à la norme. Je m'avance d'un pas timide vers le lit. Un mince filet de jour filtrant à travers les stores baissés, éclaire son visage pâle. Sam m'envoie un sourire et l'étau autour de ma poitrine se libère.

— Salut, toi. Approche.

Porté par le soulagement, je fonds sur lui. Notre baiser est d'abord doux, mais rapidement, la passion prend le dessus. Nos bouches se découvrent. Je me perds dans le goût de ses lèvres, dans la sensation de sa langue jouant avec la mienne. Il en découle du bonheur à l'état pur. C'est mieux que tout. Mieux que l'héroïne, le cannabis, la cocaïne. Mieux que l'alcool et le sexe. Rien de tout cela ne peut rivaliser avec l'extase que je ressens en ce moment. L'angoisse s'évapore. Mon pouls s'accélère. L'apesanteur me soulève le ventre lorsque Sam agrippe mes cheveux, m'incitant à approfondir ce baiser. Je m'enivre de son odeur, de sa chaleur sous mes doigts. L'idée d'un monde sans lui, d'une existence dans laquelle je ne percevrais plus son souffle ni les battements de son cœur, m'est devenue inconcevable. Je caresse son visage pour m'assurer qu'il est bien là, entre mes mains. Lorsque nous nous séparons, nos regards se croisent enfin.

— Quel accueil, murmure Sam, je me ferais tirer dessus plus souvent, si j'avais le droit à un tel baiser à chaque fois.

J'effleure les contours du bandage avec tendresse.

— Tu as mal ? chuchoté-je, pour soulager mes cordes vocales qui ont prit un sacré coup en hurlant dans cette infirmerie.

— J'ai des médicaments pour ça. Ne t'inquiète pas. Le médecin qui m'a opéré a dit que j'avais eu de la chance. Le fait d'avoir tourné la tête une seconde avant que la balle me touche, m'a sauvé la vie. Ta voix est la dernière chose dont je me souviens.

— J'ai eu peur... Si tu savais, comme j'ai eu peur. Tu... Tu étais dans mes bras et tu ne bougeais plus. E-et dans l'ambulance, ton cœur, il... Il a cessé de battre. Tu es mort pendant une minute.

Sam gesticule sur son lit médicalisé pour se repositionner.

— Tu ne vas pas te débarrasser de moi aussi facilement. Et attends, tu ne connais pas la meilleure ? J'ai un bout de plastique dans le crâne. Je suis un vrai Robocop, maintenant.

Je m'autorise à rire derrière mes larmes. Coffin a eu raison. La balle n'a pas atteint le cerveau, mais a sérieusement entamé le cuir chevelu en arrachant au passage un fragment osseux de sa boite crânienne. Les médecins lui ont alors greffé un implant sur mesure pour remplacer le tissu manquant. Et après plusieurs jours plongés dans un coma induit afin de protéger son cerveau et éviter tout risque d'hypertension, Sam s'est réveillé sans séquelle.

Je tire une chaise et m'installe à ses côtés sans le quitter du regard. Une part de moi redoute de le voir s'évaporer, que sa présence ne se résume qu'à un rêve créé par mon esprit sadique, habitué du genre. Ces derniers jours ont été exténuants. Je me réveillais la nuit en sursaut, extrait du sommeil par une détonation imaginaire et hanté par des flashs terribles. J'étais de nouveau ce petit garçon terrorisé à l'idée d'être seul. J'ai durant ce laps de temps, accumulé d'incessants aller-retour entre le commissariat, l'hôpital — où je devais affronter la vision déconcertante de son corps inerte, relié à des câbles et des tubes — et la colocation des Greene où je devais me faire violence pour ne pas replonger. Depuis que cette détonation a réveillé en moi ces souvenirs, je ressens ce besoin irrépressible de les tuer dans l'alcool ou la drogue. J'ai eu envie de contacter mon père, aussi, pour le confronter, qu'il me révèle la vérité, mais il l'a déjà fait... J'ai choisi de ne pas l'entendre. Je comprends dorénavant le soudain silence de mon grand-père pendant toutes ces années. Sean le lui avait dit.

Le Passé Ne Meurt Jamais [En Réécriture]Where stories live. Discover now