Schrei - Tome 1 (BxB)

CHAPITRE 5

À écouter: Don't Jump - Tokio Hotel

CHAPITRE 5
Schrei Mania

Max

2014

Je relis le mail que Carla m'a envoyé dans la matinée et tout ce que je retiens de mon texte, c'est qu'il "n'est pas assez bon", "le thème n'est pas assez vendeur" et il y a "trop de répétitions". Cette ligne en fin de mail pourrait tout changer puisque Carla m'explique qu'il y a du "mieux comparé à mes autres textes". Du mieux oui, mais pas assez bon pour aboutir à quelque chose de concret. Je me renfrogne contre le dossier de la chaise dans un soupir. Je ne suis pas parolier professionnel et pourtant, je m'entête à vouloir prouver le contraire à Carla alors que tout ce que j'écris "n'est pas assez bon". Peut-être que, finalement, je ne suis doué que pour jouer de la batterie et non pour écrire des textes. Non, je refuse de croire ça. C'est moi qui ait écrit Rette Dich. Tout seul. Cette musique n'est pas la plus connue du groupe mais elle est tout de même l'une des plus appréciées. Et c'est ça qui fait toute la différence.

J'ai promis à Laurie de reprendre mes textes pour éviter de penser à la tentative de suicide de Gabin ou du fait que Nolan se fiche de moi. Mais depuis qu'elle est sortie avec mon frère et Regen, je n'arrive pas à m'y mettre. Aucun texte n'est concluant et les avis de mon assistante me démoralisent un peu mais j'essaie de m'en sortir. J'ai lancé Schrei pour me stimuler. Entendre Gabin hurler à s'en briser les cordes vocales n'est peut-être pas la meilleure idée mais il s'agit de la seule musique que j'accepte d'écouter sans prétendre que les jumeaux ne se sont pas assez projetés quant à l'avenir du groupe. Parce qu'elle n'a aucun lien avec nous, si ce n'est l'apparence atypique qu'abordaient les jumeaux lorsqu'on s'est rencontré.

– Schrei so laut du kannst ! je répète en me retournant vers l'enceinte. Tu parles d'une connerie tiens ! Bien sûr que c'était simple de dire que vous hurliez ce que vous pensiez au monde entier. Mais à l'heure actuelle, y'a plus personne pour hurler le fond de vos pensées !

Je balance sur l'enceinte le premier objet qui me tombe sous la main, ma trousse. Et le choc ne l'a fait même pas vaciller. Elle reste droite, stoïque, incassable, inébranlable. Tout ce que je ne suis plus. D'un soupir, je me concentre à nouveau sur le texte que m'a envoyé Carla en pièce jointe. Encore une fois, celui-ci est très différent du sujet que j'avais abordé. Ce texte là ne parle plus d'amour toxique mais d'amour sain, avec un mariage, des enfants et tout ce qui contribue au bonheur dans un couple. Je me renfrogne un peu plus contre le dossier de ma chaise, un stylo entre les dents. Nolan était moins difficile sur l'écriture de nos textes que ne peut l'être Carla. À l'époque, Gabin ne lui avait pas donné le choix.

Il refusait de chanter des musiques pour plaires, des musiques dites "commerciales", celles qui ne sont écrites que dans le but d'être vendues et de gagner de l'argent. Gabin avait une toute autre idée en tête. Il souhaitait qu'on écrive nos musiques, celles qui nous parlaient avant de parler aux autres. Tom et moi, solidaires de Gabin, avions acquiescé sans un mot. Nolan avait alors essayé de nous faire entendre raison en nous assurant qu'il pouvait nous faire signer dans une grande maison de disques mais pour des gamins de quinze ans, on était sacrément ferme là dessus. Si on ne pouvait pas chanter nos musiques, alors on ne voulait pas être produit. Je me souviens encore du visage effaré de Nolan lorsque Gabin lui a balancé ça à la figure.

Je crois que, de toute sa carrière, notre agent n'avait jamais vu autant de prétention. Il en avait pourtant produit des groupes, avant nous, qui avaient accepté d'écrire des textes pour "plaire". Mais ceux-ci n'avaient pas la relation amicale que nous avions avec les jumeaux et à un moment donné, ils finissaient toujours par se séparer pour se lancer dans une carrière solo. Nolan recherchait donc de nouveaux talents à mettre sur le devant de la scène et c'était bien la première fois qu'il tombait sur des gosses de quinze ans qui en rêvaient. Il nous avait dit: "à cet âge-là, les gosses jouent à la console, se rebellent contre leur parent ou passent leur week-end avec leurs amis. Vous, vous le passez dans des bars, à chanter vos musiques et à ne même pas recevoir le mérite que vous devriez avoir".