Chapitre 5

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J'ai plané toute la journée. Même cette pétasse de Tiffany aurait été incapable de m'atteindre tellement j'étais dans la stratosphère.

Du coup, Terry et moi avons bossé comme des acharnés : nous nous sommes rendus jusqu'au restaurant où nous avons réalisé notre interview en moins de deux, et gagné un déjeuner offert par la patronne de « Sam LaGrassa's ». C'est avec une certaine fierté que j'ai débarqué une bonne heure avant la fin de ma journée dans le bureau de Raphaël pour lui donner la première version de notre article sur le restaurant.

Encore une fois, impossible de déchiffrer les pensées de mon délicieux directeur. Ce dernier reste un long moment à lire notre brouillon, à étudier les photos et à regarder mes idées de mise en page. Il conclut l'entretien en levant les yeux de son écran puis il arbore un sourire de dieu grec avant d'ajouter :

— Félicitations, Maya, c'est du super boulot ! Vraiment, je suis épaté par la qualité de ce travail. Pour être honnête...

Il s'enfonce dans son fauteuil en cuir.

— Je n'aurais pas cru que Terry et toi y seriez arrivés.

— Que veux-tu, tu as des collaborateurs exceptionnels, lui réponds-je, surprise par ma propre audace (eh oui, j'ai des ailes aujourd'hui, même Raphaël ne m'impressionne pas).

— Enfin, surtout des collaboratrices, rectifie mon boss en me regardant droit dans les yeux.

Le rouge me monte aux joues et je bredouille de vagues remerciements avant de quitter la pièce. Comme je suis sur le point de sortir, mon chef stoppe mon élan :

— Maya ?

— Oui ?

— Je suis convaincu de ton talent. Il est évident que tu perdais ton temps à rédiger des chroniques culinaires et que tu as largement les capacités pour faire partie des meilleures journalistes du Tribune. As-tu déjà réfléchi à ton plan de carrière ?

Euh... comment te dire, ça ne fait même pas quatre mois que je suis là et, à chaque fois que je croise notre merveilleuse éditorialiste, j'ai peur de me faire virer alors, réfléchir à un plan de carrière...

Au lieu de quoi, je réponds sobrement :

— Là, maintenant, tout de suite ? Non.

— Je vois. Eh bien, si tu le souhaites, nous pourrions aller déjeuner ensemble un midi pour en discuter. Qu'en penses-tu ?

— Euh... oui, pourquoi pas ?

En revenant à mon bureau, je cogite un bon moment sur cette drôle de proposition. Non, mais sérieux, il y a sans doute des journalistes qui bossent aussi bien que moi, voire mieux, et qui ont plus d'expérience. Pourquoi en faire autant pour moi ?

Je me rappelle en avoir parlé une fois comme ça avec Terry...

A la suite d'un énorme bug sur mon ordi, j'avais perdu un article sur une sombre histoire de montage financier à la bourse de New York, destiné à la première page. C'était défaite - et devant toute la rédaction - que j'avais dû présenter mes excuses à Raphaël.

Sa réponse avait fait ouvrir des yeux ronds à bien des collaborateurs :

— Ne t'en fais pas, Maya, on a tous le droit à l'erreur. Je vais demander à Johanna de te faire une copie du dossier.

À peine notre directeur parti, Terry avait esquissé un demi-sourire puis écrit sur un post-it : « Il te fait du rentre-dedans ».

J'avais ricané : vous m'avez vue, vous l'avez vu ? Ce type ne devait avoir aucun mal à lever des poules ultras sophistiquées. Intérêt de me draguer : 0.

BéguinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant