Chapitre 35

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20 novembre

         En cette fin de journée, me voilà à l'aéroport de Dublin. Mon père m'y a amenée et j'y ai retrouvé l'un de mes oncles accompagné par ma grand-mère. Le bruit des discussions autour de moi se mêle aux annonces des vols. Mon cœur bat à tout rompre, tiraillé entre l'excitation du voyage et une anxiété profonde à l'idée de laisser derrière moi tout ce qui me constitue. Je me sens déracinée bien que je sache au fond que ce départ est une bonne chose.

— Tu prendras des photos. Beaucoup de photos, ma chérie !

Grand-mère tient ma main avec fermeté comme pour partager un peu de sa force tranquille. Mon père et mon oncle, Kerry, qui est venu du Canada, il y a quelques jours pour nous aider, discutent des dernières mesures qu'ils ont prises pour piloter la fleuristerie en mon absence. Je ne peux m'empêcher de me sentir coupable de les laisser gérer mes responsabilités, en plus des leurs.

— Vous pouvez encore vous faire rembourser les billets d'avion et l'hébergement !

— C'est faux ! lance mon père tout pimpant. Je n'ai pris aucune option de remboursement pour être sûr et certain que tu quittes Cork.

Il passe son bras autour de mes épaules et embrasse ma tête.

— Juliette, tu as besoin de ce repos. Tu seras en sécurité et nous serons opérationnels avec tes oncles pour veiller sur tout ici, me rassure ma grand-mère en voyant mon hésitation. Tu dois penser à te ressourcer, loin du tumulte de Cork. Tu feras le plein de vitamines D chez Luisa. Le soleil va te faire du bien.

— J'adore Luisa, mamie, mais...

— Pas de mais ! Luisa est ravie de t'accueillir. Elle a hâte de te revoir ! Elle sera subjuguée par la jolie femme que tu es devenue.

Son ton est si persuasif que je finis par hocher la tête. Les mots pour lui dire à quel point je lui suis reconnaissante sont coincés dans ma gorge.

— Nous nous appellerons tous les jours. Matin et soir.

— Oui, ma chérie. Surtout, ne t'en fais pas pour nous !

Nous avançons vers la zone d'embarquement et après un dernier câlin, qui s'éternise, je me retrouve seule à franchir le portique de sécurité. Derrière moi, les silhouettes de ma famille s'estompent.

— Prenez soin de mamie ! m'exclamé-je à l'attention de mon père et de mon oncle.


         Le vol vers la Sicile est un mélange de sommeil intermittent et de contemplation silencieuse des nuages qui défilent. L'idée de m'éloigner pour respirer, pour échapper aux ombres qui ont assombri ces dernières semaines, commence à prendre son sens. De toute façon, maintenant que je suis dans l'avion, il n'est plus possible de reculer. J'imagine la joie de Luisa à l'idée de m'accueillir pour une semaine. Elle était ma nounou lorsque j'étais enfant. Puis durant mon adolescence, elle a décidé de retourner là où elle est née pour y vieillir en toute sérénité.


        À mon arrivée, le climat doux de la Sicile m'enveloppe immédiatement. Il fait déjà nuit. Alors que je traverse un couloir, mon cœur se serre en pensant à l'isolement temporaire que je vais expérimenter, loin de tout ce que je connais. J'ai toujours rêvé d'aller en Italie et aujourd'hui, ce rêve devient réalité dans des circonstances discutables. Je suis mitigée.

Dès que je franchis les portes vitrées de la zone d'arrivée, je scrute la foule, cherchant une silhouette familière. Et là, parmi les visages anonymes, je l'aperçois enfin : Luisa. Mon cœur s'emballe alors que je reconnais son sourire chaleureux. Celui qui a illuminé tant de jours de mon enfance. Elle n'a pas changé. Ses yeux pétillent encore de cette douceur maternelle qui m'a tant rassurée petite.

Luisa écarte les bras. Sans hésiter, je me précipite vers elle. C'est comme si les années s'étaient envolées, laissant place à la même affection inconditionnelle qu'elle m'a toujours témoignée. Son regard brille d'un éclat particulier ! Celui des retrouvailles après un long moment de séparation, mélange de nostalgie et de bonheur.

— Juliette ! s'exclame-t-elle la voix tremblante, émue.

Elle m'étreint et je me laisse aller contre elle, envahie par une vague de souvenirs. Luisa me serre fort, comme pour rattraper le temps perdu. Je sens son cœur battre contre le mien.

Son parfum, un mélange floral doux que je reconnais instantanément, me transporte des années en arrière, quand elle me consolait après une mauvaise journée ou me lisait des histoires avant de dormir. Ses mains caressent brièvement mes cheveux, un geste si familier !

— Tu m'as manqué cuore mio* ! murmure-t-elle.

Je recule pour mieux la contempler, étudiant les rides joyeuses qui ornent le coin de ses yeux, témoins des années qui ont passé.

Elle est magnifique !

— Toi aussi tu m'as tant manqué, Luisa, réponds-je.

L'immense sourire sur mes lèvres rivalise avec le sien.

Un visage familier émerge derrière elle. Je n'en crois pas mes yeux.

— Mais... balbutié-je. Andrew !

Il est là, souriant. Les mains dans les poches de sa veste.

Sans même réfléchir, je me jette dans ses bras. Son rire en réponse à mon élan me fait prendre conscience du manque que m'a procuré son absence ces deux dernières semaines.

— Qu'est-ce que tu fais là ?! gloussé-je.

— Mon emploi du temps est loin d'être chargé. Je me suis dit pourquoi ne pas poser mes bagages en Sicile, m'apprend-il en m'embrassant.

C'est notre deuxième véritable baiser et il est certain qu'il n'est pas dénué de sentiments ou encore de passion. Je le regarde droit dans les yeux avant de l'assaillir de courts baisers. Mes actions, si spontanées et authentiques, m'étonnent !

Tout en le serrant fort, je me sens déjà plus légère.


*Mon cœur

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