Stockholm

43 - Coup fourré

Amener l'ennemi à vous sous-estimer est une technique qui a maintes fois prouvé son efficacité. Le passage entre le Waterloo et le Stockholm n'était même pas verrouillé. Il faut dire que les soldats disciplinés de l'ADICT n'avaient pas de raison de s'inquiéter, puisqu'ils avaient suivi le protocole à la lettre.

En premier lieu, ils avaient fouillé de fond en comble le secteur de la cabine de pilotage et ses alentours qui incluaient le pont d'accueil pour les vaisseaux en visite. Du sas auquel était rattaché le Waterloo jusqu'au siège du pilote occupé par Sargasse, le Stockholm avait totalement baissé sa garde. Après tout, le danger était censé venir de l'intérieur du vaisseau arraisonné, pas d'un terrain sûr et familier comme ce bon vieux patrouilleur de l'ADICT.

Le plan pour reprendre le contrôle du gros transporteur démarrait par une étape basique : supplanter Sargasse au poste de pilotage. Depuis le couloir, les trois évadés pouvaient épier le soldat en liaison directe avec ses camarades sur le terrain. Ce qu'ils entendaient surtout en réalité, c'était la grosse voix de Dubrov qui pestait contre le bordel ambiant dans la salle des machines.

Pour mener à bien leur mission, les hommes ne devaient négliger aucune cachette potentielle, aussi minuscule soit-elle ; et des cachettes, il y en avait pléthores dans l'accumulation d'objets presque maladive perpétrée par Falco. Le capitaine rageait en évoquant le nombre de caisses qu'ils avaient déjà éventrées, et qui n'était pourtant rien comparé à ce qui leur restait encore à examiner.

Postés de part et d'autre de la porte ouvrant sur la cabine de pilotage, Ellie et Seth échangèrent un regard de connivence. L'alien ne se faisait pas d'illusions sur les raisons de sa libération, il était là pour se montrer utile. Maintenant que la paire de lunettes tactiques supprimait de l'équation ses limitations d'ordre oculaire, il n'avait plus de raison de se réfréner.

Seth fit un pas dans l'encadrement de la porte, la tête penchée sur le côté, car il en frôlait le sommet. En face de lui, Sargasse surveillait d'un œil distrait les informations qui défilaient sur l'écran principal. Les grosses lettres de l'ADICT criaient leur domination sur le dos de l'homme, elles seules voyaient la silhouette menaçante de l'ennemi en approche, prêt à fondre sur leurs lignes autoritaires avec fourberie.

Dans le couloir, Luc assistait à la scène un peu en retrait. Il ne se rappelait plus bien comment il était arrivé là, son errance depuis le Waterloo jusqu'ici s'était faite dans un nuage de brume épaisse, presque un état de somnambulisme éveillé. Il avait suivi le mouvement sans trop savoir quoi faire, terrorisé par la proximité de l'étranger aux côtés d'Ellie. Il y avait quelque chose de l'ordre d'une complicité amorale entre ces deux-là, un lien naissant qui le rendait malade et peut-être un brin jaloux.

Soudain, l'apprenti prit conscience que son silence ne contribuait qu'à encourager tout ce qui était en train de se passer sous ses yeux. Il était sur le point de laisser un ennemi prendre un défenseur de l'humanité par surprise. Abandonnant le contrôle à ses émotions débridées, Luc fit un pas en avant sous le regard interloqué d'Ellie.

— Attention derrière vous ! cria-t-il dans son élan.

Sargasse se retourna juste à temps pour voir une ombre longiligne plonger dans sa direction. Le soldat se ramassa sur lui-même pour disparaître sous la console de commande dans une glissade maîtrisée, mais l'action lui fit perdre l'oreillette qui le reliait à ses camarades distants. Sans attendre, il dégaina un couteau de combat pour foncer tête baissée sur son assaillant, prêt à en découdre.

Dans le couloir, une lutte s'engageait en parallèle. Furieuse contre le jeune délateur, Ellie s'était jetée sur Luc pour l'empêcher de causer plus de dégâts. Dans sa bêtise, il aurait bien été capable d'intervenir physiquement pour aider le représentant de l'ADICT. La jeune femme chercha à l'immobiliser, tandis qu'il se débattait comme un chat qu'on voudrait jeter à l'eau.