Chapitre 40 : Haine et préjugés

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Le bâtiment n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'Elune était venue. Assez bas, il ne comportait que trois salles. L'entrée faisait aussi office de cuisine et de salon. Les nouveaux arrivants avaient converti le salon en une chambre improvisée. Deux matelas de fortune à base de draps rembourrés étaient callés contre un mur et pourvus de draps. Dans un pincement au cœur, Elune passa devant la porte qui marquait, lors de son dernier passage, l'entrée de la chambre d'Aknaël. Adeline et Irkan dormaient dans le lit double. Kyosa désigna la dernière pièce, probablement une ancienne salle d'eau aménagée elle aussi en chambre.

— Dusane dort là. Il reste un peu de place, tu pourras te mettre avec elle.

Elune la remercia et rejoignit l'architecte. La pièce exigüe n'avait pas été pensée pour accueillir un matelas. Encore moins deux. Un renfoncement dans le mur servait à se laver les mains. Un bassin creusé à même le sol remplaçait la baignoire. Ses bords étaient recouverts de carreaux. Dans le mur, une minuscule fenêtre donnait sur l'extérieur et éclairait maigrement la pièce.

Sans lui jeter le moindre regard, Dusane désigna la baignoire inutilisée depuis longtemps.

— Là.

Elune se glissa dans le bassin vide et en vérifia l'état. En dehors d'une fine couche de poussières, tout était en ordre. Sous ses doigts, le carrelage avait gardé de sa fraîcheur. Il lui fallut un bon tiers d'heure pour s'installer. Après avoir trouvé quelques coussins et draps, le lit improvisé était prêt. Il n'avait rien de très confortable, mais il ferait l'affaire. Après un maigre repas, tous partirent se coucher.

Allongée au fond de la baignoire de l'ex-salle d'eau seulement, Elune contemplait, à la lueur d'un rayon de lune, les parois carrelées de son lit de fortune sans parvenir à trouver le sommeil. Sur l'île du Maître du Temps, elle n'avait pas à se soucier du lendemain. Ses journées étaient toutes identiques : le cours du matin avec Orlyë, le déjeuner, puis l'après-midi à s'entraîner avec Loëry. Le Maître s'enfermait dans son bureau le reste du temps et Feynor se chargeait de voler jusqu'au marché pour les approvisionner.

Elune remonta son drap pour qu'il couvre ses épaules et se retourna. Au bout du lit, Kahen battit doucement des ailes avant de se remettre en boule. Lui non plus ne dormait pas. Dusane, quant-à-elle dormait à poings fermés. Ses bras étaient nus, mais ses avant-bras étaient couverts de manchons lilas sur lesquels des feuilles avaient été brodées. Les mèches les plus longues de ses cheveux bruns coupés courts s'entortillaient. Autour de son cou, une fine chaîne argentée disparaissait sous son haut.

Les pensées d'Elune allèrent à Loëry. Un soupir lui échappa. Elle était partie sur un coup de tête, elle le savait. Mais que pouvait-elle faire d'autre ? Si ni le Maître du Temps ni lui ne voulaient entendre raison, rester était inutile. Malgré tout, Loëry lui avait fait confiance et elle en avait profité pour le trahir et l'abandonner derrière elle. Sans un remord ? Son cœur se serra. Si, bien sûr qu'elle s'en voulait. Combien de fois depuis son départ s'était-elle retournée en se disant que sa place était auprès de lui ? Même chez Taël et Ania, son visage ne l'avait pas quitté. Il était la solution à tous leurs problèmes. Mais lui demander de choisir entre éliminer son père ou se sacrifier était impensable.

La marque dans sa main gauche chauffa un peu. Dans la pénombre, Elune cru la voir rougeoyer. Du bout des doigts, elle dessina les contours de la plume gravée dans sa chair. La marque d'Istler. Elle ne l'avait jamais montré à Loëry. Ni au Maître du Temps d'ailleurs. A bien y repenser, elle n'avait jamais non plus véritablement expliqué au premier pourquoi elle tenait absolument à emprunter des ponts pour se déplacer. Avait-il deviné depuis ou pensait-il seulement qu'elle craignait trop de voler ?

La Mélodie des Plumes - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant