Chapitre 4 : Une attente délétère

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Il écoute de la musique ou il téléphone, je ne sais pas. Il a sa démarche et son manteau, mais je n'ai pas suffisamment d'éléments pour être sûr de moi. Et merde, il tourne à droite et prend une ruelle sombre et exiguë. Je contourne en prenant la prochaine à droite et tente de tomber face à lui. Je sais, mon comportement est malsain, mais je dois savoir s'il s'agit d'Oliver. Putain, un sens interdit ! Mais il est là, il arrive. Il est tout à fait possible que j'arrive à voir son visage. OH non ! Des voitures arrivent en face, je ne peux pas rester plus longtemps. Au moment où j'appuie sur l'accélérateur, je vois le jeune homme lever la tête, une écharpe autour du cou, ne laissant apparaître que son regard qui me foudroie. Regard que je reconnaîtrai entre mille, en revanche, c'est une nouvelle écharpe qui se dépose sur ses clavicules musclées.
Je jurerai sur tout ce que j'ai qu'il s'agit d'Oliver. Mon cœur palpite, j'ai mal au crâne et je grince encore des dents, mais je veux le voir. Je fais le tour et tente de le rattraper. Il n'y a plus personne, à part des édifices gelés et des maisons éteintes. Le silence nocturne qui naguère était ma source d'inspiration, devient pesant ce soir.
J'ai envie de rentrer. Ma route continue, direction le bercail. Arrivé devant la porte, je cherche mes clefs, que je n'ai plus. Il ne manquait plus que ça et, pour couronner le tout, je n'ai plus de batterie sur mon téléphone.
La porte est évidemment fermée à clef et tout le monde dort.

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Remarquez, il est bientôt 7 heures du matin, Kate ne devrait pas tarder à se lever et les enfants non plus. Espérons que cela ne dure pas jusqu'à 8 h. Il fait froid dehors et je suis en redescente. La voisine ouvre sa porte. Génial, première image de sa journée ? Un déchet de 49 ans sur le palier de sa porte, à l'article de la mort cérébrale. « Bonjour Madame Ritcher 😃 », je dois ressembler à une insipide prostituée qui ne barguignerai pas à l'invitation d'une pipe. Un vulgaire bout de tissu usé me sert de mouchoir, la déchéance me guète. Posé contre le mur de l'entrée, je me repasse la nuit sensationnelle que j'ai vécue.
Petit à petit, les bruits ambiants ne deviennent plus qu'un crépitement lointain. Je m'endors et sombre dans mes rêves les plus farfelus. Soudainement, la porte s'ouvre et je m'éclate sur le sol. « Papa ? », merde. Ma fille de 8 ans me dit qu'elle a entendu un ronflement devant la porte et a donc ouvert. Il est 8 h 30, Kate débarque en trombe, me demande ce qu'il se passe et pourquoi je suis par terre dans l'entrée. S'ensuit une longue discussion à deux, où je lui explique mon état. Je ne vous raconte pas la tête si tôt le matin, après avoir vu sa plus jeune fille trouver son papa, comme un miséreux tapissant le sol. Il ne manque plus que je vomisse, mais je me contenterai de cette situation suffisamment délicate. Je peine à me lever et entre dans la maison.
« Tu sens l'alcool », me dit Kate. Oui, en effet je ne dois pas sentir la rose.
Encore alcoolisé et quelque peu drogué, je monte difficilement me coucher.

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Je réalise au réveil que je me suis couché dans la chambre d'amis. Les enfants vont le remarquer. Pas grave, je jouerai sur l'alcool et le très peu de souvenirs. L'état grabataire et l'esprit flâneur, je suis étalé tel un être déchu dans son lit. J'ignore ce que les enfants ont pu penser et je n'ai aucune hâte de le découvrir. Je décide de calmer le jeu et de mettre les choses à plat directement, sauf qu'il est déjà 14 h 00, tout le monde a déjeuné et ils profitent des derniers rayons de soleil de septembre. Nous sommes le 8, la rentrée approche, les vacances se terminent et tout le monde pète un câble. D'autant plus avec la situation actuelle qui corrobore notre instabilité plus qu'évidente. Je remarque toutefois que mes affaires bougent régulièrement. J'ai peur que ma femme ou mes enfants fouillent mes affaires personnelles et trouvent l'écharpe d'Oliver. Je descends. On me dit bonjour très brièvement, le regard fuyant. C'est certain, mon état de ce matin a choqué. À tour de rôle, je vais dire bonjour additionné d'un « Désolé pour hier, papa s'est bien amusé, il a eu une soirée arrosée ».
Pour vous en dire plus quant à nos familles respectives, on retrouve le côté traditionnel du côté maternel, et l'anticonformisme par choix, du côté paternel.
C'est aussi pour ça que j'ai toujours voué un culte aux gens différents, qui ne se conforment pas aux normes sociétales.
Nous ne faisons qu'à moitié partie de la culture sociale du microcosme familial, mais je dirais que le côté maternel l'emporte haut la main.

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La vie suit son cours, je fais en sorte de ne pas trop me faire remarquer. Demain, nous sommes mercredi et Oliver vient voir Noah pour travailler. Cette fulminante adrénaline m'avait manqué, ce coup de jus est indescriptible. Oliver vient demain, Oliver vient demain. J'ai l'impression d'avoir Gilles de La Tourette, mais je suis juste le plus heureux. Je dois absolument aller chez le coiffeur cet après-midi et me racheter un pull. Et puis il faut que je me rase et que je range la maison. « Les enfants, aujourd'hui on fait le ménage ! » dis-je à mes trois petits monstres.
Kate fait des remarques malaisantes sur le fait que je sois un homme nouveau, mais j'arrive encore à sentir son scepticisme. Au travers de son humour se dessine une attitude agreste singulière. Je pars chez le coiffeur en espérant qu'ils aient de la place pour moi.
Au retour, je m'achèterai un pull. Ah oui, j'ai changé le mot de passe de mon ordinateur, je craignais que ma femme aille voir mon historique. C'est toujours mieux d'éviter une fâcheuse découverte. Je l'imagine bien tenter d'aller sur mon ordinateur pendant que je pars en centre-ville. AH ! Il y a de la place chez le coiffeur, parfait. Je m'assois et lui dis : « Coupez simplement les pointes, s'il vous plaît. » Je tiens à garder ma belle chevelure. On m'a d'ailleurs longtemps appelé le playmobil, les cheveux toujours bien placés.
Me voilà sorti, en direction d'un magasin de vêtements pour hommes.
Je dois me trouver un pull, définitivement moins ringard que celui que je porte un peu trop.

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Ils ont toujours ce qu'il faut chez Acne Studio, non loin de Thomas St, je viens de trouver un pull gris foncé qui me sied à merveille. Bonne dégaine, David, bonne dégaine. De retour à la maison, c'est propre et rangé, mais Kate ne m'adresse pas la parole. Je fatigue de ses changements d'humeur ! Enfin, je ne vous ferais pas le discours dithyrambique de l'année. Je n'y prête pas attention et me laisse happer vigoureusement par le souvenir d'Oliver. Son magnétisme ardent me ramène aux soudains consentements d'une alchimie irréfutable. D'ailleurs, je ne voudrais pas m'avancer, mais Oliver ne semblait pas si réticent. Qu'on s'entende, j'ai parfaitement conscience qu'il ne s'agit là que des fadaises du début, alors attendons d'amorcer un lien.
Cette enclave de sens m'évoque la douceur de vivre inimitable que j'avais toujours recherchée.
Rien ne pouvait me procurer autant de plaisir que revoir son visage. Nous sommes donc à quelques heures d'être mercredi et une semaine s'est écoulée depuis la dernière fois.
Enfin, depuis la dernière fois officielle, parce qu'à nouveau, je suis persuadé qu'il s'agissait d'Oliver ce matin. Il me tarde d'être demain, face à lui, j'ai l'impression d'avoir attendu un mois. Comme quelqu'un d'abstème qui résiste à la flaveur d'un flacon. Je m'encoure à la salle de bain, ma barbe de 3 jours n'est plus envisageable : j'entame alors mon inexorable renaissance, tel un phénix. Je repense à notre rencontre précipitée au détour d'une venelle sombre et brumeuse, dont le remugle vous fend en deux.
Je le reverrai.


Désolée pour le petit retard ! (Je poste la suite du chapitre 4, juste après)
En espérant que ça vous plaise :-)

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