Chapitre 88

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Je ne faisais qu'y penser.
Qu'avais-je fait ?
Qu'avais-je osé faire ?
Cela faisait plusieurs mois que je m'appliquais à maintenir un rôle, une autre personnalité, une autre moi à leurs yeux !
Cela faisait plusieurs mois que j'effaçais mes avis, mes valeurs, mes principes, mes sentiments, tout ! Tout, pour correspondre à l'image que je me devais de renvoyer afin d'accomplir ma mission.
On ne se méfiait pas d'une femme gentille et inoffensive.
Non, bien sûr que non.
En revanche, l'on se méfiait bien plus d'une femme sur la défensive et sachant user de la violence lorsqu'elle le jugeait nécessaire.
Seulement, en réagissant ainsi face à Rin, Miwa et les autres, même si cela avait été dans l'unique but de défendre ma propre sœur, j'avais commis une grave erreur.
Je ne voulais que l'on remette ma couverture en question, car c'était ce même rôle que je jouais devant Ryuu.
Je ne voulais perdre la confiance qu'il m'accordait.
Aussi bien pour ma mission, que pour une toute autre raison, quelque qu'elle soit.
Je ne voulais simplement pas ruiner les efforts que j'avais prodigué jusque-là.
Alors, dans l'espoir de réparer cette faute, je n'avais cessé de penser à ce que je pouvais faire.
Comment expliquer mon comportement si soudain ?
Comment expliquer ce revirement de personnalité ? De manières ? De ton ?
Je n'avais fait que cela.
Chercher, encore et encore.
Seulement, cet incident avait eu lieu hier soir, et aujourd'hui, je n'avais pu m'entretenir avec aucune servante.
Aucune.
Je n'avais pas même vu Atsuko, elle qui pourtant se trouvait tous les jours à l'intérieur du palais, afin de servir l'impératrice.
Malgré tout, je ne m'étais pas rendue à leur pavillon.
Même si le temps pressait, peut-être devrais-je attendre que la tension redescende légèrement ?
Non, je ne savais pas.
Je ne savais pas du tout.
De plus, j'étais entièrement seule dans ce problème.
Je ne pouvais demander d'aide à personne.
En parler à Ryuu ? Lui avouer ma mission en reviendrait au même.
À Hiro ? Nous n'étions pas assez proches, et je me devais également de conserver mon rôle à ses yeux.
Non, personne à la cour n'était en mesure de m'aider.
Alors, en recevant la lettre de Masato, ce matin, une once d'espoir m'avait envahi.
J'avais pensé que celui-ci aurait tenu à s'entretenir avec moi, et j'en aurais profité pour me confier puis, par la suite, lui demander conseil.
Seulement, sa missive n'était autre qu'une couverture pour m'informer du rassemblement des opposants qui aurait lieu ce soir, au même bar que le précédent.
Il ne m'avait manqué que cela.
J'avais brisé certaines barrières avec Ryuu, ce qui me faisait culpabiliser par rapport à mon père.
Ensuite, j'étais sortie de mon rôle devant les servantes, mettant ma mission en péril.
Et maintenant, je me rendais à ce rassemblement, risquant de me faire démasquer à n'importe quel moment et surtout, de l'anxiété me tordant le ventre.
L'idée de trahir Ryuu me mettait de plus en plus mal à l'aise.
Elle ne me ravissait en rien.
Comme si, au fond, je ne le voulais pas.
Seulement, encore une fois, dans cette histoire, il ne s'agissait pas de moi.
Mais de mon père et de ce qu'il désirait.
De ce fait, j'avais mis une part de mes problèmes récents de côté, afin de rester à l'affût.
J'étais alors passée par la sortie "condamnée" que Miwa nous avait dévoilé, puis m'étais rendue en ville habillée comme toutes femmes du peuple, dissimulant mon visage derrière un couvre-chef.
Puis, j'avais marché de mémoire jusqu'au bar où l'inconnu m'avait emmené, puis m'étais hissée à travers la foule d'hommes ivres qui barrait le passage jusqu'au comptoir.
Le barman m'avait alors ouvert discrètement la trappe, et j'étais ainsi descendue vers la cave.
Et voilà où j'en étais actuellement.
Debout, devant cette porte, Ryuu envahissant mes esprits.
Je pouvais encore sentir ses mains dans les miennes, qui avait auparavant parcouru mon corps.
C'était lui que je trompais en me rendant à ce rassemblement.
Mais c'était mon père que j'avais trahi lors de cette cérémonie.
Je serrai alors mes poings, frustrée de cette situation.
Il n'était pas question de moi !
Et d'ailleurs, comment, eux, réagiraient-ils en m'apercevant ? Allaient-ils considérer que je n'étais digne de confiance du fait des actes que j'avais commis ?Danser avec mon mari puis m'éclipser avec lui, comme les domestiques le pensaient tant ?
Enfin, il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.
Je pris alors une grande inspiration, puis ouvris la porte.
De ce fait, j'entrai dans cette grande pièce, où se trouvaient déjà une vingtaine d'hommes.
Pas une seule femme.
J'étais la seule.
Tous rivèrent leur regard vers moi tandis que j'ôtai mon chapeau.
Plus besoin de se cacher, à présent.
Autant garder la tête haute.
Or, à ma plus grande surprise, je ne discernai que quelques regards haineux, or ils n'étaient que très peu.
À vrai dire, je pouvais les compter avec les doigts d'une seule et unique main.
C'était bien la première fois depuis cette journée.
Non, en revanche, je discernais de la confusion, et de la peur pour certains.
C'était étrange.
Qu'est-ce qui les retenait tant de me haïr ? Après-tout, il semblait que cela était chose commune, ces derniers temps.
Or, avant même que je ne puisse me poser davantage de questions, je reconnus Yuuma qui s'avança vers moi, un sourire aux lèvres.
Celui-ci dégageait une aura chaleureuse, et je réalisai qu'il n'était pas très grand.
Non, il n'avait qu'une dizaine de centimètres de plus que moi.

La nuit où je te tueraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant