6.Enfer

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Will dévala la pente sans prêter aucune attention à Loup, qui lui criait d'attendre. Sa famille était en danger. Comment pouvait-il marcher tranquillement ?
Il se tordit la cheville plusieurs fois, à courir trop vite, et parce qu'il ne voyait où il mettait les pieds seulement qu'au dernier moment, mais cela lui importait peu. Les branches basses des sapins lui cinglaient les cuisses, les épaules, le visage.
Il apercevait le village d'où il était, et il connaissait les environs. Quand il prenait son temps, il mettait presque trente minutes pour aller du bois au village, mais l'heure n'était plus à la promenade. Les flammes commençaient à monter. Will était en état d'alerte totale : ses jambes bougeaient presque d'elle-mêmes. Allait-il deux, trois fois plus vite que d'habitude? Il n'aurait su dire, tout était flou et sombre autour de lui, la chaleur de l'incendie était son seul repère.
Il arrivit à l'orée du bois, et distinguait clairement les habitations.
Certaines étaient restées intactes ou presque, mais la plupart étaient en feu.
Il courait désormais dans la rue principale où tout n'était que confusion et chaos. Les gens avec qui il avait grandi, les adultes qui lui avaient enseigné le respect étaient maintenant en train de se battre, se piétiner pour sauver leur peau en premier.
L'enfer peut revêtir plusieurs apparences. Il peut se trouver dans un homme sans compassion, ou encore dans une nuit d'été plus chaude que d'habitude.
Autour de lui, tout n'était que sang, cris et fumée. Plus il avançait et moins il voyait un quelconque signe de vie. Les habitants qui n'avaient pas fui étaient morts. La nausée lui vint à la vue d'un corps brûlé étendu au sol, qu'il ne pouvait pas identifier.
Sans s'en être aperçu, il était arrivé chez lui. Il était dans son jardin, et il distingua deux silhouettes. En fait, c'était deux hommes, et il les connaissait plutôt bien : l'un était son père et l'autre était leur voisin, Mark.
Ils se faisaient face. Mark tenait un pistolet, pointé en direction de son père. Tout en lui indiquait le désespoir, il avait les yeux d'un fou, et tremblait beaucoup. Le père de Will semblait négocier quelque chose, mais Mark faisait non de la tête, et répétait ce mouvement, comme si c'était la seule chose qu'il savait encore faire. Il hurla soudainement "NON!" et avait levé son arme sur son père, qui s'était jeté de tout son poids sur Mark. Le coup retentit dans le brouillard. Les deux corps étaient mêlés, tous deux allongés au sol.
Au bout d'une éternité, un des corps se mit à bouger, puis se lever. Will n'avait manqué aucun mouvement de l'affrontement.
Les flammes éclaircirent le visage et Will reconnut son père.
Il l'avait vu au même instant, et ils se dévisagèrent.
Mais étrangement, Will ne ressentait pas le besoin de courir dans les bras de son père. Le contraire se produisait en lui. Une peur indicible s'empara de tous ses membres et il vit que son père était lui aussi horrifié de ce qu'il venait d'arriver : il avait tué un homme.
Et instinctivement, Will avait maintenant peur qu'il ne le tue, lui aussi.
Son père, dans un état second, baissa la tête et regarda ses mains, rouges de ce sang qui n'était pas le sien. Il essaya de dire quelque chose, mais seul un gémissement insensé parvint à sortir de sa bouche. Il recula alors, tout en tournant frénétiquement la tête de droite à gauche sans quitter son fils des yeux.
Puis il se retourna, et s'en alla en courant, les contours de sa silhouette se perdant dans la fumée.
Après cela, Will se rappella avoir marché vers le bois. Il devait faire quelque chose. Sa tête était sur le point d'imploser. Il ne pourra plus jamais vivre avec son père sans avoir peur. La majorité des gens de son village avait péri. Plus rien ne sera comme avant. C'en était trop à supporter d'un coup.
Il s'arrêta, et se mit à pleurer. Will vida toutes les larmes de son corps, et hurla à la lune. Au bout d'un moment, lassé, il se tut. Il se sentait vide, et ne pleurait plus.
Il n'avait jamais ressenti cette fatigue, mais il savait que dormir maintenant ne l'aurait pas fait se sentir mieux à son réveil.
Il vit quelque chose briller dans l'obscurité, devant lui: un lapin contemplait la scène misérable que lui offraient les décombres du village, et Will fut pris d'un rire sans joie.
Il lui semblait avoir vécu mille ans en l'espace d'une nuit, et tout lui semblait fade, amer.
Soudain, il se retourna et aperçut un visage familier. C'était Loup, qui s'avançait vers lui. Sans un mot, Loup le prit sur son dos, et commença à marcher. Il se sentit enfin capable de s'endormir, et il commença à rêver à peine après avoir fermé les yeux.
Juste avant de décrocher il entendit sa voix dire doucement "Bonne nuit, Renard. "
Alors, malgré sa fatigue, Renard sourit et répondit tout bas "merci, Loup."

La silhouette d'un homme à la carrure imposante se découpait entre ciel et terre, à la cime d'un arbre. L'Homme au Masque d'animal surplombait la vallée, et regardait les deux enfants disparaître dans la chaleur de la nuit.

La Vie de LoupWhere stories live. Discover now