Chapitre 12

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Si nos ancêtres avaient choisi de s'installer dans ce bled perdu qu'ils ont baptisé Lëndëm, c'était sans doute pour se proteger des invasions coloniales et des guerres tribales qui décimaient le pays au début du siècle passé. De nos jours, ces menaces ont disparu mais personne ne songe à aller vivre ailleurs. Et à travers les âges, Lëndëm est resté un amas de paillotes dressé au milieu de la savane. Des habitations en paille dont la fragilité nous fait souffrir aussi bien de la pluie et du vent que de la canicule et du froid. Au centre du village, il y a la mosquée et son minaret qui dépasse de loin les chaumes des cases et, en face, l'école primaire et son toit de tôle ondulée. Lorsqu'on s'amuse à compter le nombre de palissades dans chaque concession, on peut savoir exactement combien de couples y vivent. Ces barrières en tige de mil tressées et dénomées mbagn gathié, ce qui signifie littéralement en wolof
"Refus de la honte" , servent en effet à preserver l'intimité du couple . Erigées devant une case, elles délimites l'espace qu'un visiteur ne doit pas franchir sans y être invité. S'arrêter devant le mbagn gathié pour s'annoncer faire partie de ces signes de respect qui rendent la vie en communauté supportable même s'il n'est jamais venu à personne l'idée d'éconduire un voisin ou un parent de passage . La cour reste toutefois le lieu de vie commune pour toute la famille, plus précisément le père ,la mère et les enfants mais aussi les coépouses et leurs rejetons, cest à dire les demi frères des uns et les demi soeurs de autres. C'est dans la cour que se tiennent toutes les corvées comme la grande lessive hebdomadaire et la vaisselle quotidienne. On y ammènage aussi des cuisines en plein air avec des escabeaux sur lesquels on range les petits ustensils et d'énormes fourneaux en fer forgé. Les bonhomes de gaz Shell etant un luxe reservé aux plus nantis, les femmes partent chaque matin chercher dans la savane le bois qu'elles ramènent en énormes fagots posés sur la tête. Ce sont elles aussi qui arpentent plusieurs fois dans la journée le chemin du puits avec de lourdes bassines remplies d'eau pour l'usage des hommes
Ces derniers se reservent le travail de la terre et comme la saison des pluies ne dure que 3 mois, ils sont la plupart du temps oisifs et passent donc leurs journées sur des chaises longues, sous les arbres à palabre .
Mais la vie n'est clémente pour personne à Lëndëm.
L'acharnement du soleil, immense boule de feu suspendue au dessus de nos têtes, restreint considerablement les activités collectives et individuelles. Et cette canicule quasi permanente qui plonge bêtes et gens dans la léthargie atteint son paroxysme vers 14 heures . On se terre alors dans les cases en attendant que l'astre perde de son intensité. Et durant ces heures de reclusion forcée, même les animaux domestiques cessent toutes vadrouille pour se refugier au pieds du puits, le seul endroit du village ou l'on peut encore trouver un peu de verdure et de fraîcheur. On n'entends evidemment aucun bruit hormis le braiment d'un âne ou les sanglots lointains d'un nourrisson.
Et des bleds aussi mal lotis que le nôtre, il y en a beaucoup au senegal. On peut meme trouver pire encore,comme le village de Lazaret. Un ancien campement situé à une dizaine de km de Lëndëm où les colons mettaient en quarantaine les indigènes atteint de la lèpre et qui devenu apres les independances le village des anciens malades et de leurs familles. A Lazaret, il n'y a ni électricité, ni eau potable, ni meme d'ecoles pour les enfants. Et pour ne pas devoir mendier toute leur vie, bon nombre de ces anciens malades et pere de famille preferent cultiver du cannabis qui nécessite moins de travail que le mil et qui rapporte plus. Mais là encore...ils sont obligés de partager les benefices avec des policiers véreux pour ne pas mourrir en prison. A Lëndëm, personne n'ose cultiver du cannabis mais la plupart des jeunes le commercialisent ,servant ainsi de trait d'union entre les dealers des grandes villes comme Dakar et les planteurs de Lazaret. Tout le monde est au courant mais personne ne les blâmes parce que sans ce petits "bizness " comme on l'appelle ici, beaucoup de jeunes gens n'auraient pas de quoi satisfaire le plus petit de leur besoins .

LA NUIT  EST TOMBÉE SUR DAKARWhere stories live. Discover now