Amour interdit 「𝒏𝒂𝒍𝒖」

Chapitre 17 : sous les cerisiers

Le bruit des ballons de basket rebondissant au sol résonna sur le parterre du stade, accompagnant d'une manière presque harmonieuse les couinements des chaussures de sport pas tout à fait dérouillées de leur long été sans activité. Lucy, en binôme avec Reby, tentait de faire dribbler la balle sans y parvenir, bien trop occupé à jeter des coups d'œil incessants à l'horloge. Lorsqu'elle rata une enième passe de sa coéquipière, cette dernière finit par soupirer et attrapa le ballon pour se diriger vers la blonde et agiter sa main devant ses yeux.

- Youhou, Lucy ? Tu m'entends ?

La jeune fille cligna des yeux. Non, elle n'entendait pas : elle se trouvait à mille lieux de là, dans son petit monde personnel remplis de doute et de questionnements. Elle n'avait qu'une hâte : que le cours se termine, enfin, et qu'elle puisse réintégrer son appartement pour y méditer en toute quiétude.

- Hmmm, fit Lucy pour toute réponse.

Reby fit quelques dribbles et insista :

- Allez, Lu' ! Il reste à peine un quart d'heure ! Fais un petit effort !

- Mais j'en peux pluus ! gémit la blonde.

Elle secoua la tête pour tenter de se réveiller définitivement et sa queue de cheval dorée valsa dans l'air, fouettant ses joues. Le cours de sport n'était vraiment pas un de ses favoris. Au collège, c'était différent. Le professeur était du genre blagueur et chaque séance comportait forcément un fou rire collectif, voire deux ou trois certaines fois. Cette année, c'était une vieille pie aux cheveux gris qui semblait avoir un balai coincé dans le dos. Yeux plissés, bouche pincée, voix criarde et mauvaise humeur permanente, ce n'était pas une joie de la retrouver chaque mercredi en dernières heures de la matinée. Tout le monde, même les plus sportifs, n'attendaient qu'une chose : que la sonnerie libératrice retentisse, enfin !

- Tu es sûre que ça va ? s'inquiéta Reby, stoppant le ballon qui visiblement souhaitait lui aussi s'enfuir.

Lucy sourit et assura que « tout allait bien ». Elle n'avait pas le choix. Le lundi, quand Reby était descendu de son immeuble pour retrouver Lucy afin d'aller en cours, elle avait remarqué les cernes et l'air fatigué de la blondinette, et en bonne amie avait demandé si tout allait bien. Lucy avait hésité une demi-seconde entre fondre en larmes et sourire gaiement. Son choix s'était porté sur la seconde option. Elle avait tenté d'écarquiller ses yeux autant que la fatigue lui permettait et esquissé un sourire. «  Tout va bien, et toi ? ». Puis, toute la journée, elle n'avait fait que ça. Mentir. Assurer que ça allait. Le mardi s'était déroulé de la même façon. « Ça va » était devenu son mantra. Elle se le répétait à longueur de temps en espérant que brusquement, ça devienne réalité. Mais quand personne ne la regardait, le masque tombait, ses paupières s'affaissaient, le sourire fondait. Ses yeux chocolats perdaient leur éclat, ses cheveux semblaient ternis, tout son être était vidé de la joie qui lui était si caractéristique.  Elle était tiraillée, étirée entre deux mondes. Et chaque seconde, la même question hurlait en elle, lui vrillait le crâne : lequel allait-elle choisir ?

Son seul échappatoire était le rendez-vous fixé le jour même, à 18h, au Cherry Garden de Magnolia. Le parc aux cerisiers. En cette saison, ils ne seraient pas en fleurs, évidemment, mais le lieu serait comme d'habitude empli de tranquillité. C'était l'un des parcs les plus prisés de la ville pour les promenades en famille ou les rendez-vous amoureux.

Le sifflet retentit brusquement tel une trille aigüe. Le bruits des ballons s'estompa jusqu'à disparaître complètement et tous commencèrent à converger vers le centre de la salle où se trouvait la harpie qui leur servait de professeur.

- Allez, c'est fini pour aujourd'hui ! Rangez les ballons, les paniers, allez vous changer ! cria-elle, et sa voix grinçante se répercuta sur les murs.