Ana et moi restons seules dans la pièce, seuls les bruits lointains des tirs ou des conversations viennent briser le silence pesant. Tout ce qui a été dit se mélange dans ma tête, et sans que je comprenne comment c'est possible, je comprends peu à peu de plus en plus de choses tandis que l'idée que je pourrais ne pas être celle que je pensais se fraie un chemin en moi.
Mon père qui m'évitait les rares fois où il venait, cette vision que j'ai souvent, et cette femme que je voyais, qui me parlait d'une voix si douce, si pleine d'amour... je comprends aussi pourquoi ma mère s'était crispée quand l'effacée qui recrutait avait demandé ma ville de naissance.
Je suis une intérieure, je me répète en vain, une fille de l'intérieur tout à fait normale ! Je ne suis pas une de ces créatures avides de sang qui viennent de l'extérieur !
Pourtant, tout au fond de moi, je sens que quelque chose cloche, et une part de moi comprend maintenant pourquoi mon père a quitté la maison, comme si c'était la seule réponse que l'on ne m'ait jamais donné à cette question. Je me couche dans mon lit, recroquevillée, les yeux fermés. J'en oublie presque la présence de ma compagne dans la pièce, elle aussi assise sur son lit avec un air soucieux et pensif. Mes yeux me piquent et j'ai un mal de crane horrible.
Je sursaute quand je sens une main se pose sur mon épaule, mais ce n'est que Ana qui s'est assise à côté de moi. Je n'aime pas voir son visage remplit d'inquiétude. Même si nous nous entendons bien, nous ne nous sommes jamais vraiment confiées l'une à l'autre, peut-être parce que nous sommes les premières amies que nous n'avons jamais eues.
– Eh, me dit-elle d'une voix un peu hésitante. Ne t'en fais pas, je sais que tu n'es pas une extérieure. Et tu as toujours vécu à l'intérieur, tes parents sont intérieurs, pourquoi tu serais différente ? Nor a dit n'importe quoi parce qu'elle avait tout autant peur que nous. J'ai du mal à comprendre ta réaction...
Je regarde ses yeux et secoue la tête. Je n'ai pas envie de l'écouter, je n'ai pas envie de parler. Je voudrais qu'elle me laisse seule pour pouvoir réfléchir.
– Tu sais... Nor a eu très peur. Elle ne voulait sûrement pas te blesser, mais son frère était un effacé aussi, et il s'est fait... Tuer en partant dans un raid contre les extérieurs. On ne peut pas lui en vouloir. C'est un traumatisme.
Un pincement au cœur me prend, celle qui m'a agressé quelques minutes plus tôt avait donc une raison de me détester.
Une... « raison de me détester » ... Pourquoi est-ce que ça me parait si clair ?
A ce moment-là, je n'arrive plus à retenir mes larmes et tout mon trop plein d'émotions de ces derniers jours se déverse avec elles.
– Quoi ? Qu'est-ce que tu as ? Bredouille la rousse complètement prise au dépourvu.
Ana me regarde avec surprise et me prend dans ses bras, ne sachant pas comment m'aider autrement.
– Je ne sais plus où j'en suis Ana... Je ne sais plus qui je suis. Je sanglote en me laissant aller contre mon amie, qui continue à me tapoter le dos pour tenter maladroitement de me réconforter.
Je voudrais arrêter de parler, mais mes mots ne s'arrêtent pas.
– D'abord, je revois la personne que j'aurais absolument voulu éviter. Ensuite, je me fais traiter d'extérieure... Je ne pensais pas avoir à subir ça lorsque je me suis engagée ! La douleur physique et la fatigue, je m'y attendais, mais pas ça !
Je me cramponne à elle et mes larmes mouillent son T-shirt. Un instant, j'essaie de reculer la tête, craignant de la déranger. Mais elle passe alors une main derrière mon cou et me serre contre son épaule, comme pour me montrer qu'elle ne s'en soucie pas. Dans la tempête de mes émotions, j'ai l'impression de m'agripper à une bouée de sauvetage qui me maintient à la surface. Nous restons ainsi un moment, jusqu'à ce que mon flot de larmes ait cessé. Ana se décroche alors de moi et me sourit, les yeux brillants.
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Nucléaires 1 : Effacée
خيال علميMily vit dans Hadassa, une ville de "l'intérieur" comme tant d'autres, sous une coupole transparente anti-radiation protégeant ses habitants de l'extérieur et de ses dangers. Y vivre n'est pas toujours facile, mais malgré tout la jeune fille vit sim...