Vue sur la plage

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Je vois se profiler une masse verte à travers le hublot. L'avion s'engouffre dans les nuages et la brume s'effaçant, nous, voyageurs, apercevons enfin l'île.
Chacun retient son souffle lors de la descente de l'engin dont les premières roues effleurent le sol.

Un sac à moitié vide sur mon dos, j'attend patiemment mon Père à l'entrée de l'aéroport. Les minutes et les gens passent, je suis  seule au milieu de tous. Se fraillant un chemin parmis la foule, je vois une femme d'une vingtaines d'années s'avancer vers moi.

"- Salut, Loona je suppose ?

- Oui, bonjour...

- Sana ! lance l'inconnue le sourire aux lèvres.

- Vous connaissez mon Père ?

- C'est mon employeur pour tout te dire, il m'a demandé de te ramener, tu as fait bon voyage ?

- Pourquoi n'est-il pas venu lui-même ?

- Le travail, il lui manque des clichés pour une exposition mais il n'en a plus pour très longtemps. Aller, allons chercher ta valise."

Elle pose sa main sur mon sac et m'entraîne vers la réception des bagages.

"- En fait, Sana, je n'ai que ça.

Elle louche  sur mon unique bagage.

- Tu n'as quand même pas emmené que cette sacoche ?

- Si, je n'ai rien eu le temps de prendre de plus.

Sana passe sa main sur son front. La chaleur humide me fait transpirer deux fois plus qu'elle avec mon pull en laine. Je tire nerveusement sur un fil qui en dépasse. L'employée remarque mon geste puisqu'elle reprend :

- A... Je vois, tu as bourré le plus d'affaires possibles pour ne rien avoir à porter c'est ça ?

- Non, en fait il faisait bien plus froid d'où je suis partie alors je n'avais que quelques t-shirts à prendre.

Je lui fait un sourire des plus hypocrites.

- Tu dois avoir super chaud ! Et faim aussi, on passe te chercher un sandwich et on y va ! "

Je hoche la tête pour clore le silence qui commence à planer autour de nous. Et me voilà qui suit une inconnue.

L'affreux goût du beagle que je viens d'engouffrer me reste dans la bouche. Je ne comprend toujours pas le principe d'un pain troué au milieu, la preuve je suis couverte de miettes alors que Sana m'a bien briffé sur le No crumb in the car. J'humidifie le bout de mon doigt et grignote les petits bouts de pain qui parsèment mon pantalon. La fenêtre s'ouvre et laisse le vent souffler sur mon visage. J'admire l'allée de palmiers que nous traversons. Une musique folklorique tambourine dans le taxi. Nous nous éloignons de plus en plus du centre ville au fur et à mesure que nous montons sur les hauteurs de l'île.

Sana ouvre la barrière. S'étale alors devant nous une grande bâtisse blanche couverte de baies vitrées. Je la suis dans le pavillon, en observant chaque détail. Derrière la porte bleue, je découvre avec surprise un intérieur épuré et végétal. Les photos du monde entier prisent par mon Père colorent les murs, apportent un semblant de vie dans cet intérieur impersonnel. Tout au fond du salon dans lequel nous sommes entrées, une immense photo de l'océan. Sana tire les épais rideaux bleus qui bordent le cadre du cliché. A travers les vitres immaculées, la mer, somptueuse, s'étale presque sur la terrasse. J'observe les vagues s'entremêler, puis avec finesse, retomber en fracas. Sana passe une main dans mon dos et me montre ma chambre. Tout est blanc. Neutre. Occupant la majeure partie de la place, trône au centre un grand lit qui fait face à un petit balcon. Je pose mon sac sur le matelas et prend la clef dorée que Sana me tend.

" - Ça te plaît ?

- C'est largement suffisant...

- Tu ne reconnais rien ?

- Non, je devrais ?

- C'est compréhensible, ton Père m'a dit que c'était ta chambre quand tu étais plus petite.

- Je n'en ai que de vagues souvenirs. Les murs ne sont plus bleus et les photos au mur ont été retirées.

- En fait lors des travaux, elle est devenue la chambre d'amis, mais personne n'y a vraiment remis les pieds."

Elle dépose une pile de vêtements à fleurs sur le rebord du lit et tourne les talons. Je m'allonge sur le tapis les yeux cloués au plafond. Il n'est même pas venu me voir, a détruit tous les souvenirs de ma chambre, qui n'est au fond même plus la mienne puisqu'elle était jusqu'à présent destinée aux "amis". J'imite la voix mélodieuse de Sana en mimant ses mimiques odieuses. Celui qui m'a donné la vie m'a tout simplement supprimé de la sienne. Si rien ne c'était passé, je n'aurais probablement jamais remis les pieds ici. L'image infantile d'un Père adorable se volatilise de mes pensées alors que j'étouffe en sanglots.

RealsummerWhere stories live. Discover now