Vue du balcon

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Je remonte dans la chambre. C'est une blague ? La liasse d'argent que mon Père vient de donner à Sana ne me sort pas de la tête. Ça remettrai tout en cause, on ne paye pas ses employés en espèce chez moi. Surtout quand la transaction est censée rester secrète.
Sana joue-t-elle un rôle ? Je raye de ma liste copine et compagne. Pas fille de substitution, dans un contexte tordu ça pourrait être de l'argent de poche. Se serait aussi normal pour lui que de rayer sa fille biologique de sa vie. Littéralement.
Je me couche sur ces belles pensées. Cette journée a été bien remplie. L'avion, la maison, la mer, le bateau... Avant d'en savoir plus sur cette affaire, je compte bien rester sur le positif. Cette vie sera quand même plus agréable que celle que j'ai laissé de l'autre côté de la mer.

Au milieu de la nuit, un air frais provenant de la fenêtre ouverte me refroidi. Je tire le drap qui me recouvre. La lune transperce le rideau blanc prenant l'allure d'un spectre ainsi soulevé par le souffle du vent. A moitié réveillée, je me lève et sors sur le petit balcon. Le ciel est parsemé d'étoiles. L'humide chaleur a laissé place à une délicieuse température estivale. Un chignon décoiffé sur le haut de mon crâne, j'observe mon ombre projetée sur la plage bordée par les vagues. Je plisse mes yeux endormis. Sana, en nuisette, marche au bord de l'eau. Elle paraît faible. Trempée, elle ère sur le sable. Cette femme qui me paraissait si forte et sûre d'elle, se métamorphose en fillette désorientée. Mouillée de la tête au pied, le corps à moitié dévoilé, son visage se tourne vers ma fenêtre. Son regard me transperce. Je suis seule, mais je ne connais rien d'où je suis. Elle est seule, alors qu'elle vit ici. J'aimerais dire que je sais ce que ça fait, de perdre l'équilibre dans son équilibre. Mais non, je ne suis qu'être triste dans l'inconnu. Malheureusement, lorsque l'inconnu s'empare de vos points de repère, vous ne pouvez que désespérer. Tomber toujours plus bas. Rassure toi belle demoiselle, si l'on tombe, c'est qu'au fond on peut se relever, me chuchotais mon Père à l'époque.
Pieds nus, je la rejoint sur la berge. Sana, assise sur le sol, scrute l'horizon. Je m'agenouille à ses côtés.
"- Tu avais l'air heureuse de voir Alagio.
Je ne comprend pas tout de suite de qui elle me parle, depuis le temps que je n'ai pas entendu son nom. Heureuse ? Mon jeu d'acteur n'est pas passé autant inaperçu que ce que j'aurai pensé. Nous rions.
- Dit moi, c'est quoi exactement ton métier ?
- Le supporter.
Nos rires s'envolent dans la nuit, portés par l'air marin qui souffle à travers les feuilles de palmiers. Je saisi une poignée de sable et laisse les grains se faire emporter dans la fraîcheur du soir.
- En fait, à la base c'était de l'aider pour sa rééducation puis il ma prit sous son aile. Il a été...
- Comme un Père..., j'imagine.
- Plutôt comme un oncle. Ce n'était pas de l'amour paternel qu'il avait envers moi. Je savais qu'il avait une fille de l'autre côté de la mer, me confie-t-elle en tendant sa main vers le large. Et qu'elle lui manquait beaucoup, chuchote-t-elle."
Je raye fille de substitution de ma liste.

Je me réveille tôt ce matin. Le pavillon est calme. Je traverse le couloir et me rend à la salle de bain. Un jean froissé est posé sur le tabouret. Je le déplie. Taille 38. Il doit être à Sana - qui doit être en train de dormir à cette heure. Je ressasse notre discussion d'hier. Elle m'a émue, alors que je déteste les gens qui se plaignent. Mais elle, elle attendu qu'il fasse noir et d'être seule pour se laisser aller. Je reconnais là une certaine force. Elle s'est blanchie dans mon esprit. Le jean à la main, j'examine ses coutures, les suivant du doigt. La poche arrière est bombée. Intuitivement, je passe ma main dessus pour la repasser. Une enveloppe en tombe. Il reste un billet à l'intérieur. Je pense tout de suite à l'incident d'hier soir. Pourquoi avoir récupérer tous les billets et garder seulement l'enveloppe ? Je ne me suis pas trompée : lorsque j'ai surpris leur transaction, j'ai bien vu l'échange. Mon Père à Sana et pas le contraire. Tout de suite, elle retombe dans mon estime. C'est maladroit de ne pas avoir ranger son pantalon. Qu'elle genre d'employée laisse traîner ses vêtements ? Et si elle l'avait fait exprès pour que mon Père récupère l'enveloppe avec le billet ? Il dépassait peu être le montant qu'il lui devait... Des scénarios divers se déroulent dans ma tête. Et si, et si. Avec des "si" on refait le monde, me disait une vieille connaissance. Une porte claque. Je lâche le vêtement, en prenant garde de le reposer comme je l'avais trouvé.
Je vais au salon. Une peau hâlée couverte d'un peignoir se prélasse déjà sur le canapé. Affalé, mon Père mange un fruit, s'endormant presque dessus. Mon arrivée peu discrète le tire de sa rêverie. Ma chérie !
Ses yeux font des allées retour entre moi et les revues entreposées sur la table basse. Il n'en a pas marre de ses attitudes suspectes ? Je fais mine de tousser en gardant un œil sur lui. D'un geste, qu'il tente de faire passer pour naturel, il mélange les revues.
"- Bonjour.
- Tu n'est pas trop fatiguée ?
- Ça va, ça va... Tient, ce magazine me dit quelque chose ! "
Me penchant pour l'attraper le plus innocemment possible, je mime me cogner le pied contre la table. Les revues s'éparpillent sur le plateau. En un éclair, je détaille chacune des couvertures. Rien à signaler. Je m'apprête à tourner les talons quand du coin de l'œil je surprend mon Père qui dissimule rapidement un papier dans son dos. Je n'ai pas le temps de savoir ce qu'il cache que le papier disparaît dans les coussins.

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⏰ Last updated: May 14, 2018 ⏰

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