Vue sur le Caire

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Je mange donc avec Sana sur la terrasse. Nous finissons notre salade en silence. Soudain, le bruit de graviers écrasés parvient à nos oreilles. Sans suit d'un crissement de pneus. La porte n'étant pas fermée à clef, l'individu claque sa portière et rentre dans la maison d'un pas lourd. Sana se lève et part à sa rencontre. Elle revient peu de temps après avec des sacs remplis de matériel qu'elle pose devant la fenêtre. Je vois alors une personne à la carrure imposante s'avancer vers moi. Le soleil dans mon dos, je ne visualise qu'une silhouette noire, masculine. Il porte un polo blanc déboutonné et sa montre dorée étincelante me fusille les yeux. L'homme traverse l'ombre et maintenant entièrement dévoilée par le jour, sa figure familière se fend en un large sourire :

" - Alors comment va ma grande fille ?

Mon Père tend les bras vers moi. Je me lève lentement et lui rend son étreinte. Son odeur n'a pas changée, il sent la fleur d'orangé à plein nez. Mal à l'aise, je me détache de lui rapidement.

- Tu es contente de me voir ? J'ai réussi à finir plus tôt !
Je ne sais pas quoi répondre.

- Je n'ai pas vraiment eu le choix, dit-je en souriant pour ne pas paraître trop froide. Ses yeux sont immobiles, il est impassible. Aucune émotion véritable ne semble le traverser. Ses dents blanches se découvrent et un rictus déforme son visage.

- Je reprend ma surprise alors ?
Mon Père avait l'habitude de rentrer avec un petit cadeau de chacun de ses voyages.

- Ho, laisse moi deviner, une casquette, un petit sac, encore mieux une carte postale ?
Cette fois je ne rigole pas du tout.
Il reproduit son rictus et tape fortement sur sa poitrine.

- Non... Moi ! Et il paraît fier de sa blague en plus. Je n'en attendais pas moins de lui finalement.

- Tu as déjà manger ? Je décide de changer de sujet.

- Je t'attendais ma poulette.

Mon poulet, c'est plutôt ta poulette qui t'attend. Il tire sa chaise et s'assoit en face de moi. En se penchant en arrière il crie : "Sanaaaaa, rajoute une assiette, tu seras gentille !" J'aurai déjà démissionné si je devais être à son service. À mon grand étonnement elle rétorque :
"- Alors Pépère est trop fatigué pour se lever ? C'est épuisant de prendre des photos sous le soleil du Caire n'est-ce pas ?

Mon Père saute sur Sana et lui tord le bras en douceur, elle se retourne brusquement et le bloque. Vaincu, le perdant part prendre ses couverts.

- Comme ça, tu as rencontré cette tête de mule ? me lance-t-il en revenant.
Il se fiche de moi ? Si elle n'avait pas été là, à sa demande en plus, je serais tout bonnement rester vivre à l'aéroport.

- Oui, répondant à ma place Sana lui balance ; fallait bien que quelqu'un s'en charge !"
Ses mots résonnent dans ma tête. Je suis vraiment l'élément en trop à cette table. Je regarde les deux amis parler ensemble tout le reste du repas. Mon Père me réveil quelques fois pour me demander comment vont mes cours, ma maison, ma ville, la météo en Antarctique. Je ne reconnais plus celui que j'ai quitté onze ans plus tôt.
Je me lève sans réfléchir et pousse ma chaise. Sans me retourner, je pars m'enfermer dans ma chambre. Je me jette sur le lit. Cling ! Aïe ! Je soulève l'oreiller et découvre un petit paquet cadeau à moitié écrasé. Je frotte ma main sur ma nuque en déchirant le papier brillant.Vient se dérouler une fine chaîne en or. Elle tombe délicatement au creux de ma main. Le bracelet aurait probablement été sympa si la perle qui le décorait ne s'était pas brisée quand je me suis cognée la tête dessus. D'abord navrée, j'essaye de reconstituer la petite boule blanche ornée de délicates fleurs bleues. Mais revenant à la raison, j'éparpille les fragments de la breloque sur la couette. Il croit vraiment que c'est avec un bout de chaîne, maladroitement caché en plus, qu'il va rattraper tout le temps où il a préféré m'ignorer ? Il n'a même pas du le voir passer depuis qu'il connait Sana soit sa copine/employée/servante/compagne/fille de substitution. Les poings serrés, je froisse le papier cadeau déjà déchiré. Un petite étiquette en tombe. Egypte 2016. Il n'avait même pas du le choisir lui même.
Je souffle bruyamment, alors que je cache la chaîne sous l'oreiller. En revenant au séjour, mes pieds cessent d'avancer et mon corps se fige. Me voici spectatrice d'une scène improbable entre mon Père et Sana. Le parquet craque sous mes pieds. Détournant les yeux, je fais semblant d'observer les photos qui m'entourent. Du coin de l'œil, je vois les deux cachotiers faire semblant de discuter pendant que Sana fourre discrètement leur échange dans sa poche arrière.

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