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  Impossible de continuer comme ça. Il paraît que je fais des chuchotements bizarres, je vois le mot retour ensanglanté partout, soit je deviens folle soit je me suicide mais il n'y a pas d'issue positive si je laisse cette histoire empirer.

  La nuit d'après, je ne dormais pas. De un, le sommeil refusait de venir et ensuite, imaginer m'endormir dans cet endroit, je ne pouvais pas. Mon cerveau ne pouvait pas, mon cœur ne le supporterais pas, mes membres lâcheraient. Le lendemain, il fallait que j'aille au lycée. Malgré le fait que je ne dorme pas, je ne me sentais pas si fatiguée. Mais j'avais peur. Le mot retour n'était pas un mot hors du commun. Je pouvais le croiser n'importe où. Et faire une crise devant la classe était la pire chose qui pouvait exister. Je priai pour que la chance soit avec moi. Mais j'avais comme un doute. Une sorte de certitude. Quiconque me faisait ça, que ce soit une chose, un objet, un animal, un humain, ou un esprit, il ne faisait pas ça par hasard. Et je ne pense pas que cela me laissera tranquille. Autant l'appeler ainsi. Cela. Aussi étrange que cela puisse paraître, lui donner un nom me rassurait. Un nom. C'est idiot. Pour quelque chose qui veut ma mort. Ou ma folie. Mais c'était intuitif. Quelque chose de nommée, quelle qu'elle soit, fait moins qu'une créature anonyme. C'est très psychologique. Comme untel a peur des fantômes et unetelle a peur des zombies. C'est dans la tête. Ce qui est vraiment stupide, c'est de croire qu'une fois nommé, cela sera moins dangereux. Pourtant, au fond de moi. J'y crois. Je crois que cela sera moins dangereux maintenant. Quelle sotte. J'allais le découvrir quelques heures plus tard, assise sur une chaise dans une classe de français. Mais d'abord, j'avais la chance de prendre le bus avec Jjia. Et elle va voir de quel bois je me chauffe.

  Elle le prenait un arrêt après moi. Donc j'avais le temps de préparer mon approche.

  Quand elle entra, elle jeta un regard rapide vers moi, puis s'installa devant moi, sans me parler. Je souris, et  ayant préparé ce coup, je lui chuchotai à l'oreille :

  << T'as peur que je te chuchote à la figure ?

  Elle sursauta et me regarda en fronçant les sourcils. Semblant comprendre que sa conversation ne m'avait pas échappée, elle rougit et marmonna quelque chose. Je dis :

  - J'aurai préféré l'apprendre d'une manière plus douce, si tu vois ce que je veux dire. >>

  Et je descendis. Je regardai le portail du lycée. Encore un an, et je n'aurai plus besoin d'y retourner. Mon premier cours était français. Je m'assis sur une table du fond, en espérant que la professeure ne me remarque pas trop... J'aurais ainsi le temps de réfléchir à un moyen de ne plus avoir peur à chaque instant dans ma maison. Ma propre maison. C'est triste quand même d'avoir peur de rentrer chez soi. Mais bon, il fallait que je me détende.

  Le cours portait sur une leçon que j'avais déjà assimiler. J'écoutais donc d'une oreille, en pensant à cela. Maintenant, ma terreur portait un nom. Soudain, la prof m'interpela.

  << N'est-ce pas, Enaya ?

  - Hem... Oui... oui, bien sûr, madame...  >>

  Même si j'avais écouté, j'aurais été incapable de faire une réponse beaucoup plus complète. Mes yeux étaient rivés sur le  tableau. Il fallait étudier un texte dans lequel était écrite la phrase : Ton retour est si loin, il me tarde de te revoir. Le deuxième mot. Retour. Il semblait rouge et saignant. Je fermai subrepticement les yeux, puis re-regardai. Le mot avait tout de normal. Un mot noir parmi d'autres mots noirs. Je devais avoir des hallucinations, ce n'est pas possible autrement. Il fallait que je fasse quelque chose. Que j'agisse. Pas que je laisse couler.

  Personne ne semblait avoir remarquer mon malaise. Mais une autre personne regardai fixement le mot retour. Serait-ce possible que je ne sois pas la seule à remarquer ça ? Je regardai avec plus d'attention  celui qui regardai au même endroit que moi, à peine une minute avant. Je ne me souvenais plus de son nom, parce qu'il était très discret. Il avait les cheveux longs et noirs, des yeux marron foncé, et des restes d'acné sur le front. Il n'était pas forcément très beau mais il avait un certain charisme. Ses yeux restaient fixés sur le tableau. Je devinais ce qu'il pensait, si je devinais bien ce qu'il voyait.

  Le reste du cours se déroula lentement, mes pensées étant concentrées uniquement sur cela. Je me demandais si ça voulait dire qu'il y allait avoir le retour du tueur qui était déjà passé par là. Si seulement je pouvais faire des recherches sur lui pendant la journée. Mais jamais je ne pourrais le faire au CDI, et encore moins durant un cours. Et puis, je pouvais toujours essayer d'aborder la conversation avec l'autre là... Le gars qui semblait voir la même chose que moi. Je me promis de retenir son nom.

  J'attendais l'heure du repas avec impatience. Il fallait que j'essaie de parler avec le mec. Je vais l'appeler comme ça pour l'instant. Une fois dans le réfectoire, je cherchais avec une certaine avidité l'endroit où il était assis. Je le vis assis seul sur une table de quatre. Cela ne rendait que le vide plus grand. Je m'assis en face de lui, sachant pertinemment que j'avais un peu l'air bête. Il leva les yeux de son plat et me regarda longuement avant de déclarer :

  << Oui ?

  Comment formuler ça ?

  - Je ne sais pas si j'ai raison, mais j'ai l'impression que le retour te pose quelques problèmes.

  Il sursauta.

  - Ne dis pas ça si fort ! Comment tu le sais ?

  - Moi aussi je le vois. Le sang, le mot, la peur. Je vois tout. Je t'ai vu dans la classe, tu semblait hypnotisé. Ferme les yeux et ça disparaît. Je sais que ça fait. Tu connais l'histoire du tueur ?

  - Non, j'ai emménagé ici l'année dernière, c'est quoi ?

  - C'est un mec, il a tué des dizaines de personnes, et il a dit qu'il reviendrait et qu'il tuerait tous ceux qui ne seraient pas partis de ce bled.

  - Pourquoi ?

  - Je ne sais pas. Il y en a qui dise que y a un manoir hanté pas loin, mais j'y crois pas. Y en a d'autre qui disent qu'il en veut à une famille en particulier, et qu'il voulait les faire partir d'ici. Moi je sais pas. J'en avais pas peur avant, mais maintenant si. Le mot retour avec du sang qui vient partout, je crois ça à un rapport.

  - Avec le tueur ? Ce serait bizarre. Il doit être mort en prison, non ?

  - Il avait un fils. Un fils qui a disparu juste après son arrestation. Étrange n'est-ce pas ? >>

  Je croisai son regard. On pensait à la même chose. Une petite visite du manoir abandonné, quoi de mieux pour faire avancer les choses ?

En quête de vérité Où les histoires vivent. Découvrez maintenant