1

8K 224 28
                                    

― Je n'arrive pas à croire que c'est en train d'arriver ! s'exclama ma meilleure amie en pénétrant dans mon salon.

Je relevai la tête de mon bouquin de culture anglaise et la regardai en haussant les sourcils. Elle était entrée sans frapper dans mon appartement, comme s'il lui appartenait. Elle tenait à la main un magazine people et me montra du doigt un article qui promettait la sortie d'un nouvel album de son groupe préféré. Elle me fatiguait parfois, même si ça ne me mettait pas réellement en rognes.

― J'aurais pu être en train de coucher avec quelqu'un, tu sais ?

― Laisse-moi rire, répliqua-t-elle en retirant son écharpe. Si tu étais sur le coup avec quelqu'un, je serais avertie dans la seconde.

― C'est faux. Je ne te raconte jamais rien.

― N'importe quoi !

― Ah ? Alors... J'ai déjà dû te dire que je suis gay ?

Son expression se figea tandis qu'elle tentait désespérément de savoir s'il s'agissait ou pas d'une blague.

― Tu vois, tu as foncé droit dans le panneau ! Tu ne crois même pas en tes propres affirmations. Au passage, je ne suis pas gay, c'était pour savourer ta réaction.

― Bon, j'admets que tu ne me racontes pas tant de choses que ça. Mais je t'assure que si tu étais gay, je n'aurais pas de soucis avec ça.

― Je le sais bien, va ! Mais je ne le suis pas, Rach'. Je plaisantais. Vraiment.

Elle hocha la tête en s'approchant de moi pour prendre mon manuel entre ses doigts fins.

― Voilà une des raisons pour lesquelles je n'ai pas voulu te suivre en LLCE, chérie. Mais dis-moi, ils expliquent pourquoi leur cuisine est si dégueulasse ?

Je soupirai. Rachel ne savait pas être sérieuse. Elle s'esclaffa et se dirigea vers mon frigo pour en sortir un soda, puis elle s'installa sur mon canapé et mit en marche la télévision.

― Tu viens ? me demanda-t-elle.

― Sans vouloir te vexer, Rachel, j'étais en train de bosser.

― Tu te prends trop la tête avec ces machins, on ne passe plus beaucoup de temps ensemble. Tu as passé tes épreuves de fin de semestre et le second commence demain, je pense que tu peux souffler cinq minutes avec ta vieille meilleure amie.

― Tu fais chier.

Certes, ma meilleure amie était très envahissante, mais il y avait tellement d'avantages à ce qu'elle passe son temps chez moi. Par exemple, c'était elle qui cuisinait. En même temps, si elle voulait manger quelque chose, il valait mieux qu'elle le fasse elle-même étant donné que mes qualités culinaires se limitaient à faire une brouillade d'œufs et à préparer une salade de tomates. Elle s'occupait aussi du ménage, ayant de temps en temps une folle envie de passer l'aspirateur. Cette fille était dingue, et je la supportais depuis de nombreuses années. Un soir que je dormais chez elle alors que nous étions lycéennes, on s'était réveillées toutes les deux à cinq heures du matin et avions discuté comme si de rien n'était. Elle s'était même levée pour aller préparer une pâte à crêpes et fermer les volets que nous avions laissés ouverts la veille, puis elle s'était rendormie à peine retournée dans le lit. Comme je le disais : dingue.

Aujourd'hui commençait donc le second semestre. Je pénétrai dans la faculté de lettres d'Aix-en-Provence, toujours un peu incertaine dans cet univers qui me dépassait. Je pris la direction de ma première classe, qui n'était autre que le cours de phonétique. Génial. Ce cours était une torture, l'accent ne venait pas. Je me retrouvai avec mes anciens camarades, et d'autres que j'avais déjà croisés dans les couloirs. Il fallait bien remplacer ceux qui avaient échoué aux tests et abandonné. Je pris une chaise et attendis en silence que la prof nous rejoigne. La porte s'ouvrit et je tournai la tête. Mais ce n'était pas elle. A la place, une fille s'avança dans la pièce et se dirigea vers la place à ma droite. Elle était superbe. Sa peau avait gardé le bronzage de l'été, bien qu'il soit bien lointain à présent. Ses cheveux bruns bouclés lui tombaient sur les épaules et ses yeux noisette se baladaient dans toute la salle. Elle avait l'air d'être totalement désorientée. Elle s'assit rapidement, comme si elle était apeurée. Jouant avec la fermeture éclair de mon sac que j'avais posé sur ma table, je la fixais avec les sourcils relevés. Je ne l'avais jamais vue ici. Mais pourquoi la trouvais-je si belle ? Son parfum parvint jusqu'à moi en nuées sensuelles et je crus perdre la tête. Qu'était-il en train de se passer ?

― Emma ? m'appela une voix.

Je sortis de ma contemplation et tournai la tête pour m'apercevoir que le cours avait commencé et que j'étais à présent devant un ordinateur, un casque machinalement installé sur les oreilles.

― Cela marcherait mieux si tu mettais ton ordinateur en route, tu ne penses pas ?

Je rougis en obtempérant sous le sourire amusé de la prof. En mettant le programme en route, je remarquai que la fille me regardait en coin en se retenant de rire. Je lui aurais lancé une pique si je n'avais pas eu peur de la vexer. Je commençai donc ma série ô combien intéressante de prononciation, et je fus particulièrement soulagée lorsque la fin de l'heure sonna. Je retirai mon casque et le posai sur l'écran de l'ordinateur.

― Tu as un accent fabuleux, me railla ma nouvelle camarade.

― Mmh, je sais. Il est tellement parfait qu'on ne dirait pas que je suis française.

Elle gloussa en secouant la tête et en reposant elle aussi son casque.

― Je me trompe ou tu es nouvelle ici ? lui demandai-je.

― Bien vu. J'étais à Marseille pour le premier semestre, mais... Marseille, quoi.

― Je vois parfaitement. C'est plus tranquille Aix.

― Ouais... T'as cours, là ?

― Non. J'ai une heure de trou. Et toi ?

― Pareil. Tu m'accompagnes prendre un truc à la cafet' ? Je crève de faim.

― Pas de problème.

Il faisait froid en ce mois de janvier, mais nous avions opté pour les bancs extérieurs. Je frictionnais mes mains sur mes cuisses pour tenter de me réchauffer, sous le regard amusé de ma camarade qui mangeait tranquillement sa gaufre. Elle m'en proposa et je refusai, bien que l'envie de poser mes lèvres là où les siennes avaient laissé leur marque me tiraillait. Attendez. Qu'est-ce que je viens de dire ? Non, non, il faut que j'arrête ça.

On parla une bonne demi-heure sur des sujets aléatoires. Elle avait déjà été aux Etats-Unis pour visiter la Californie. Ça lui avait beaucoup plu, d'autant plus que les américains avaient été très accueillants. Elle en gardait un merveilleux souvenir et souhaitait repartir bientôt. Je ne voulais pas qu'elle reparte, mais je ne le fis pas savoir. Pour qui m'aurait-elle prise ?

Je posai ma tête sur la table dans le nid de mes bras, le visage tourné vers elle, occupée à observer une dispute un peu plus loin. Sa beauté me frappa encore une fois, et j'enfouis ma tête face contre le bois.

― Est-ce que tout va bien ?

― Oui.

― Je peux avoir ton emploi du temps ?

― Fouille dans la poche avant de mon sac, tu devrais pouvoir mettre la main dessus.

Ma voix était étouffée mais elle sembla comprendre puisque je sentis mon sac à dos s'éloigner de mes pieds.

― Mince, dit-elle. Notre cours suivant n'est pas commun. Je vais devoir y aller si je ne veux pas me perdre.

― D'accord, répondis-je simplement.

― On se voit demain, de toute façon. On a des cours ensemble. A plus tard.

Je m'aperçus à cet instant que j'adorais sa voix et que je ne voulais pas qu'elle s'en aille. Je relevai brusquement la tête et elle m'offrit un sourire, l'un des plus beaux que j'ai jamais vu. Elle enjamba le banc pour partir, puis se retourna vers moi.

― Au fait, je m'appelle Charlie.

Un nouveau sourire qui m'enivra tandis que la mélodie de son prénom tintait à mes oreilles. Et elle disparut dans la cour de la fac, me laissant seule avec mes pensées éparpillées sur le goudron, seule avec ce sentiment que plus rien ne serait jamais plus pareil depuis ce jour.

I can love you better than he canOù les histoires vivent. Découvrez maintenant