I can love you better than he can

6

Quelques jours passèrent. J'étais retournée à mon mutisme en attendant la prochaine représentation de roulette russe à laquelle j'envisageais sérieusement de participer. J'avais posé le prospectus sur la petite table à l'entrée, au même endroit que je posais mes clés. J'entendis des coups sur la porte, mais je ne réagis pas. Une nouvelle volée de coups se fit entendre, sans aucune réaction de ma part, puis la porte s'ouvrit en grinçant. Charlie s'avança dans la pièce. Je l'avais remarquée du coin de l'œil, sans pour autant lui porter attention, étant toujours autant absorbée par le plafond de mon appartement.

― Je... C'était ouvert alors...

Je ne répondis pas et elle s'arrêta là, jugeant sûrement inutile d'expliquer ce que le dernier des imbéciles aurait compris lui-même.

― Ça fait deux semaines que tu n'as pas foutu les pieds à la fac... Je... Je t'ai apporté tes cours. Je te les pose ici, d'accord ?

Je restai silencieuse et immobile tandis qu'elle se déplaçait jusqu'à mon bureau pour y déposer un gros tas de photocopies. Elle revint jusqu'à moi, et je l'aperçus me regarder d'un air désolé.

― Ecoute... A propos de la dernière fois, je...

― Merci d'être passée. Au revoir.

― Emma, je...

― J'ai dit : au revoir.

Elle battit en retraite après s'être figée un instant. Je me rendis compte qu'elle marquait un arrêt à l'entrée de mon appartement. Sûrement attendait-elle que je la retienne. Je fus soulagée lorsque j'entendis la porte s'ouvrir puis se refermer. Sa présence n'avait pas été assez longue pour faire craquer mon barrage interne.

Je me tenais face au public comme j'avais pu avoir vu faire la fois dernière. Trois personnes se dressaient à mes côtés, et un homme tenait entre ses doigts un revolver. Son canon brillait à la lueur des néons plafonniers. Il expliqua que le jeu prenait fin à la mort d'un des participants ou au bout de trois tours sans qu'une balle n'ait été tirée. Il était celui qui tirait, parce qu'il ne voulait pas prendre le risque que l'on blesse le public. Il tourna aléatoirement le barillet du révolver et dirigea le canon vers ma tempe. Les yeux rivés sur le public, je ne cillai pas lorsqu'il appuya sur la détente. Rien ne se produit. Il passa au participant suivant. Dans le fond de la salle j'aperçus la porte s'ouvrir puis se refermer. La jeune fille qui venait d'entrer posa son regard sur moi après en avoir balayé la pièce. Alors que l'organisateur revenait auprès de moi en annonçant avec joie le second tour, j'entendis la jeune femme hurler. Les regards se braquèrent sur elle tandis qu'elle parcourait la salle. Lorsqu'elle s'approcha je reconnus Charlie, le visage baigné de larmes.

― Baissez moi ça tout de suite, lança-t-elle.

Le tireur obéit et baissa le canon de son arme en direction du sol. N'ayant toujours pas tourné mon visage vers Charlie qui se donnait en spectacle, je remarquai que les spectateurs étaient particulièrement ravis de ce revirement de situation qu'ils n'étaient pas accoutumés à voir. Moi, ça m'amusait moins. Je la voulais, cette balle dans le crâne.

― Emma ! Suis-moi.

Je la fixai comme si elle sortait de l'asile. Ses yeux me foudroyaient alors qu'elle continuait de pleurer.

― Elle n'aurait pas dû être là, expliqua-t-elle au tireur. Vous voulez un dédommagement ?

― Non, non, ça va. Je n'ai jamais vu le public aussi enjoué.

― Bon, tant mieux alors. On peut partir ?

Je fronçai les sourcils quand il hocha la tête et Charlie me traina hors de tout ça. Dans la rue, elle ne dit pas un mot, m'emportant par le bras comme si j'étais une sale gosse allant passer le plus mauvais moment de sa vie. C'était en quelques sortes ça, d'ailleurs. Elle me jeta quasiment dans sa voiture avant d'y entrer à son tour et de mettre le contact sans un mot. Les larmes ne cessaient de se détacher de ses yeux noisette, sans que je ne comprenne ce qui pouvait la toucher autant. Elle me détestait, qu'est-ce que ça pouvait lui faire que je me fasse éclater la cervelle ?