Chapitre Second

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Je marche depuis plus de trois heures maintenant dans ces rues sales et infectées de Paris, sans trouver la moindre échoppe, ou épicerieà même de combler ma faim. Mon estomac hurle, tel un loup prêt à passer à l'attaque. Le silence plane toujours, écrasant, envoûtant. Les ruelles dans lesquelles je m'engouffre, que je visite de fond en comble a la recherche de quelque chose à me mettre sous la dent sont désespérément vides. Les grands immeubles de chaque côté me toisent d'un air sinistre. Leurs grandes ombres sombres se réduisentà mesure que le soleil monte dans le ciel. Les pavés semblent tomber en morceau sous mes pas, rien que pour m'agacer, pour me faire tomber. Les corps morts me surprennent lorsque j'ouvre une porte. La putréfaction est partout.

Je marche, un pied après l'autre devant moi, et j'ai faim. Ma vue se trouble doucement. Du haut de mon mètre soixante-dix, tout perd forme. Je distingue de moins en moins les lignes, mais j'avance quand même. Je dois trouver de quoi manger. Je lève la tête au ciel, en me tenant le ventre à deux mains, et regarde le soleil. À en juger par sa position, il doit au moins être deux heures de l'après-midi. Je débouche dans une grande rue, mais je suis incapable de lire la plaque, incapable de lire son nom. A gauche, à droite, des carcasses de voitures. Un lampadaire tordu. Un camion accidenté, renversé. Je n'en distingue pas plus. Trainant difficilement mes jambes, je progresse sur la route. Mon pied rencontre soudain un objet, métallique, brillant, sombre, qui va glisser quelques mètres plus loin. Je me rapproche lentement, et me penche dessus pour essayer de le reconnaitre. Une extrémitécarrée, puis un manche, et... Un pistolet. Une arme de policier. Je l'empoigne, curieux, comme tout jeune n'ayant pas pu toucher de vraie arme à feu. En regardant autour de moi, j'aperçois l'uniforme de son précédentpropriétaire. Je m'approche. Ma curiosité morbide l'emporte sur la faim et la raison. Etrangement, il n'est pas couvert de sang comme la grande majorité des cadavres que j'ai vujusque là. Il est allongé sur le dos, dans un état de décomposition bien avancé, mais on distingue nettement ce qui l'a achevé. Un trou dans le bas de la mâchoire, un autre au sommet du crâne. Il s'est suicidé, comprenant qu'il n'y réchapperait pas. Il s'est suicidé, avec le même pistolet que je tiens dans ma main. Alors l'odeur de mort, de maladie, me frappe. Violemment. Je réprime un haut-le-cœur, me relève, et marche. Je me sens faible, mais je n'ai plus faim. Ce que je viens de voir m'a coupé l'appétit.

Je me dirige lentement vers le camion couché au milieu de la route. Arrivé aux portes, je regarde à l'intérieur. Des cartons. L'un d'entre eux est renversé. Des sachets de biscuits. Mon sang ne fait qu'un tour. J'escalade difficilement la porte du bas, contre le sol, et je remonte vers mon butin. Premier sachet. Je l'ouvre, je prends le premier et l'engouffre tel un ogre. Je mange. Un sachet de plus, et encore un, et je continue. Je mange des biscuits jusqu'à ce que les lumières commencent à baisser. Alors je sors la tête du camion, pour observer aux alentours. Pas un arbre en vue, pas moyen de me percher en hauteur pour la nuit. Le véhicule sera donc mon refuge, au moins pour ce soir. Je rabats difficilement les deux portes de l'arrière du camion, et l'obscurité prend le dessus. Au moment de les coincer, je sens une violente douleur au bras gauche. Je sens le sang couler. Je me suis coupé avec un des battants en fer tordu. Le mal est vif. La plaie est longue, elle fait tout le long de mon avant-bras. J'espère ne pas attraper le tétanos ou une quelconque autre saloperie de maladie. Je ne sens plus que la douleur. Je m'allonge sur le mur dur du camion, et sens quelque chose de rigide sous moi. Le pistolet. Je l'ai gardé. Je le repousse légèrement pour ne pas faire de bêtise en dormant. Alors, dans le noir quasi-total, je ferme les yeux, et malgré les élancements de mon bras, je me cale et essaye de dormir.

U4 - MartyrWhere stories live. Discover now