Chapitre 40

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La présence et les mots réconfortants de Mme Thompson ne parvinrent pas à extraire son fils de sa torpeur. Quand elle était apparue dans sa chambre, il l'avait brièvement dévisagée d'un air hagard, avant de lui tourner le dos pour éviter de répondre à ses questions.

Malgré cette rebuffade, elle prit une chaise et s'assit à côté de lui. Elle ne quitta plus son chevet et ne cessa de le rassurer en lui promettant qu'elle allait l'aider et que tout allait s'arranger. Lorsqu'il réussit à s'endormir, elle dégagea une mèche de ses yeux et contempla son visage anxieux. Son cœur chavira dans sa poitrine : si seulement elle avait pu l'éloigner de cette vie destructrice. Elle s'en voulait, elle aussi, d'avoir refusé de regarder la vérité en face. Louis n'allait pas bien depuis longtemps, et même s'il avait nié avoir des problèmes, elle avait aujourd'hui la preuve que ses soupçons étaient fondés. Son fils était bel et bien perdu et brisé.

De temps en temps, elle quittait la chambre pour retrouver Gabriel et sa mère et les tenir au courant de l'état de Louis. Devant eux, elle ne cherchait plus à se montrer forte et donnait libre cours à ses larmes et à son angoisse. Mais elle devait garder espoir, elle avait confiance en Louis et ne le laisserait pas, cette fois-ci, seul dans la tourmente.

Gabriel et les garçons furent appelés le lendemain matin par Charles pour une nouvelle réunion d'urgence, à la grande perplexité d'Alex, William et Oliver. Gabriel les avait prévenus que Louis était souffrant, ce qui expliquait pourquoi les interviews avaient été repoussées, et ils pensèrent que sa maladie était peut-être plus grave qu'ils ne l'avaient cru.

Gabriel amena sa mère avec lui, incapable d'affronter seul cette horrible affaire. Ils étaient en retard et les derniers à entrer dans la pièce. Gabriel fut choqué de voir Charles si pâle, il donnait l'impression d'avoir pris dix ans en quelques jours. Les garçons regardèrent Gabriel, puis Charles, et se raidirent. À en juger par l'expression de leurs visages, la réunion n'allait définitivement pas porter sur la sortie d'une nouvelle couette à leur effigie.

« Je vous ai appelés ce matin afin de vous mettre au courant d'événements graves qui se sont déroulés au cours de la dernière tournée. » Charles enleva ses lunettes et frotta les verres avec son pouce. « Des accusations contre les amis de Louis ont été publiées sur le blog de sa sœur. Ils auraient incité des jeunes filles mineures à avoir des relations sexuelles avec eux contre la promesse de vous rencontrer et il semble que ce soit la vérité. »

Les garçons poussèrent des cris de consternation et Gabriel enfouit son visage dans ses mains, rongé par la culpabilité.

« Malheureusement, après quelques recherches, nous avons découvert que le problème s'était étendu à vos gardes du corps, en particulier ceux d'Alex et Oliver. Ils ont été renvoyés sur le champ. »

Oliver et Alex étaient sans voix, ils ne pouvaient pas croire que ces hommes qu'ils considéraient presque comme des pères étaient capables de faire quelque chose d'aussi abject. Des mineures ? Même si eux aussi avaient couché avec des adolescentes durant la première tournée, ils étaient à peu près du même âge et tous consentants.

« Je ne vais pas vous cacher que la situation est catastrophique. J'ai besoin de connaître la véritable ampleur des dégâts, c'est pourquoi je vous demande de vérifier si vos amis ont fait la même chose. Maintenant. »

Il n'était pas venu à l'esprit de Gabriel que ses amis pouvaient être impliqués dans cette affaire, alors que la plupart l'avaient rejoint pendant la tournée européenne. Charles avait raison, peut-être que lui aussi s'était fait berner. Gabriel comme les garçons savaient pertinemment que leurs amis couchaient avec des fans, mais ils n'avaient jamais envisagé qu'elles puissent être mineures. La perspective de découvrir la vérité les terrifiait. Ils saisirent leur téléphone et commencèrent à appeler. Suivant les conseils de Charles, ils les piégèrent en affirmant qu'ils avaient des preuves et furent atterrés lorsque deux amis de Gabriel, trois de William, deux d'Oliver et un d'Alex confessèrent leurs actes. Toutes leurs victimes n'étaient pas mineures, mais ils leur avaient menti pour tirer avantage d'elles.

L'air semblait avoir disparu de la pièce, l'atmosphère devenait oppressante. Ils avaient du mal à respirer et personne n'était plus capable de parler. Des jeunes filles avaient été abusées et ils en étaient responsables. Comment pourraient-ils encore faire confiance à quelqu'un après cela ? Ils se méprisaient d'avoir été aussi stupides et aveugles.

« Qu'allez-vous faire pour rendre justice aux victimes ? » s'enquit la mère de Gabriel.

« Du moment que personne ne porte plainte, nous ne ferons strictement rien. Jusqu'à présent, ce ne sont que des témoignages anonymes. Nous ne pouvons que renvoyer ou réprimander les fautifs. »

« C'est tout ? » demanda-t-elle, éberluée.

« Oui, c'est tout. Puis-je vous rappeler que mon travail consiste à protéger le groupe, pas à jouer les justiciers ? Nous n'admettrons jamais publiquement que des évènements aussi inqualifiables se sont déroulés. Si jamais le public a vent de cette affaire, le groupe sera terminé. Imaginez les parents découvrant que leur progéniture peut être la cible de pervers sexuels lorsqu'elle va à ses concerts ? Nous ferons tout pour étouffer cette histoire et, au cas où elle atterrirait dans les médias, nous avons les ressources suffisantes pour lui ôter toute crédibilité. Nous pouvons aussi acheter le silence des jeunes filles si besoin. »

« Vous êtes affreux, » lança la mère de Gabriel avec fureur.

« Voulez-vous voir votre fils et le reste des garçons en couverture des magazines, accusés de tremper dans ce scandale ? Parce que personne ne croira qu'ils n'étaient pas au courant des actes de leurs amis. Personne. Alors, s'il vous plaît, laissez-moi faire mon travail ! » fulmina Charles.

La mère de Gabriel resta silencieuse. Il avait malheureusement raison, elle ferait tout elle aussi pour protéger son fils, quitte à blesser d'autres personnes pour cela. Elle se sentait si égoïste, si impuissante. Elle regarda les garçons qu'elle aimait comme des fils en proie à la douleur, et ravala ses larmes. Si seulement elle les avait empêchés de signer pour cette vie.

Sous l'emprise de la colère, de la tristesse, de la trahison et du remord, les garçons et Gabriel partirent chacun de leur côté sans se parler. Ils ne pouvaient exprimer ce qu'ils ressentaient et préféraient se taire.

Gabriel se dirigea vers le parking et se demanda si le sort allait lui jouer encore un mauvais tour. Il attendit que sa mère monte dans la voiture et démarra. Cette semaine l'avait poussé dans ses limites et il ne pourrait jamais assez la remercier d'être là. Il se pencha pour l'embrasser sur la joue.

Sous l'effet du stress, son cœur s'accéléra quand ils franchirent le perron de la maison. Sa mère partit à l'étage pour rejoindre la chambre de Louis. Quelques minutes après, elle redescendit en secouant la tête.

Le jour suivant, Gabriel partit faire un long jogging pour s'éclaircir les idées et se calmer. Il ne voulait pas penser au futur et essaya de se concentrer sur la santé de Louis et les moyens de l'aider à s'en sortir.

Quand il rentra chez lui, il tomba des nues en le voyant assis sur le sofa, des couleurs aux joues, une tasse de café entre les mains et le bras de sa mère entourant ses épaules frêles. Gabriel accourut et s'agenouilla devant lui. Il toucha son visage comme s'il devait s'assurer qu'il ne rêvait pas, le prit délicatement dans ses bras et soupira de soulagement.

StrainedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant