Chapitre 9

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Je me suis assise en face de lui, devant la cheminée. Nous avons observé les bûches se consumer en silence. Le feu qui crépitait dans l'âtre était la seule source de bruit. La nuit à l'extérieur semblait absorber toute trace de vie.

Je me sentais mal à l'aise mais je n'avais aucune idée de ce que j'aurais pu dire pour faire disparaître ma gêne, alors j'ai préféré me taire.

Heureusement Franklin a fini par briser le silence.

– Comment tu le vis, d'être différente ?

Sa question m'a prise de court. Il a paru le comprendre car il n'a rien ajouté et m'a laissée réfléchir.

– Je ne sais pas en fait. Je me trouve unique, spéciale et disons que j'en suis assez fière. J'ai l'impression de pouvoir accomplir tout ce que je veux, je me sens puissante...

J'ai hésité.

– Mais... ? m'a-t-il relancée.

J'ai baissé les yeux, observant mes pieds se balancer dans le vide.

– Mais parfois j'en veux à la Terre entière, je maudis tous les gens normaux. Parfois je me dégoûte, j'ai envie de m'arracher les cheveux, la peau et tout ce qui fait de moi ce que je suis. Parfois je déteste cette force qui m'oblige à rester enfermée, qui me rend violente... Dans ces moments-là je me sens tellement... Impuissante.

– Sacré paradoxe, a-t-il tenté de plaisanter, et en ce moment, tu en es plutôt où ?

– Plutôt au milieu je pense. Je n'aime pas la personne que je suis, mais comme je me suis échappée je me sens libre. Et ça change tout. Pour la première fois j'ai la sensation que ma différence n'est plus un obstacle.

À ces mots il a détourné la tête et a fixé les flammes qui se reflétaient dans ses yeux.

J'ai jeté un coup d'œil à la pendule. Quatre heures vingt-sept. Je ne m'étais jamais endormie spécialement tôt, mais ce n'était pas souvent après deux heures. Il se faisait tard - tôt ? - même pour moi.

Mais je ne ressentais pas la fatigue, trop excitée par ma nouvelle vie. Et puis cette conversation m'intéressait.

Surtout que je sentais Franklin enclin à me révéler certaines choses qu'on n'ose dire qu'à des heures si tardives.

– Qu'est-ce qu'il y a ?

Il n'a pas répondu et j'ai vu que ses yeux s'humidifiaient. J'ai fait semblant de ne pas le remarquer, ne voulant pas l'embarrasser. J'avais dû le blesser.

– Qu'ai-je dit qui t'a déplu ? Dis-moi, je me sens atrocement mal, l'ai-je supplié.

Il a tenté de sourire, mais c'était tout sauf convaincant.

– La différence est toujours un obstacle Lucie. Quoi que tu fasses, même quand tu essaies de la cacher, elle finit toujours par revenir au galop et te pourrir la vie. La société juge la différence. Ne pas être comme eux, c'est être une erreur qu'il faut gommer. Ils ne veulent pas de nous.

Je ne voulais pas y croire. Il disait ça simplement pour gâcher mes rêves. Il voulait me faire du mal, et le pire c'est qu'il y arrivait.

Il était en train de me dire que je ne pourrais jamais vivre avec les autres parce qu'ils ne m'accepteraient pas.

J'avais déjà conscience que ce serait difficile mais lui il m'assurait carrément que c'était mission impossible.

– Pourquoi tu dis ça ?! me suis-je écriée, pourquoi tu mens ?!

Il est resté calme, et ça m'a fait péter les plombs. J'ai attrapé un coussin et je l'ai déchiré en deux, laissant les plumes s'en échapper. Il n'a pas moufté.

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