Chapitre 24

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Avant de partir au lycée, Evan m'avait raconté comment il s'était disputé avec son père à cause de sa haine à mon égard. J'avais paniqué, voulu m'enfuir de sa chambre à toute hâte mais il m'en avait empêché. Il m'avait dit que sa mère avait accepté de me soigner et de me laisser dormir chez eux le temps que je me rétablisse. Je devais seulement ne pas parler à son père et éviter au maximum de le croiser. Pas de problème, je resterais cloîtrée dans la chambre à chaque fois qu'il serait là, me faisant aussi discrète qu'une ombre en pleine nuit. Il commençait tôt le matin et finissait tard le soir, si bien que j'aurais tout loisir de me promener toute la journée. Heureusement parce que je ne sais pas si j'aurais supporté de ne pas bouger durant des heures et des heures. J'avais besoin de marcher, courir, sauter et marcher autant que possible. Certes, avec ma blessure ça risquait d'être compliqué mais quand même.
C'était l'une de mes pires blessures, pas la plus douloureuse mais certainement la plus dangereuse. Une fois, alors qu'on se battait, Neptune m'avait déplacé trois vertèbres, cassé deux côtes ainsi que mes deux poignets et ma cheville droite. J'avais souffert le martyre, lui aussi d'ailleurs parce que je l'avais pas mal amoché en retour. C'est peut-être paradoxal mais en repensant à cette douleur j'ai souri. Un vrai sourire heureux, pas ces faux rictus qu'on dessine sur son visage pour faire croire aux autres que tout va bien. À cette époque tout était tellement plus simple : j'étais Athéna, la fille la plus forte du terrier, celle que tout bon combattant rêvait d'affronter lors d'une baston ou même illégalement dans les couloirs. Oui parce qu'avec Neptune on s'était battus dans le dortoir, une nuit où nous n'avions pas envie de dormir. Comme toujours en fait. Nous avions organisé un tournoi de combats dans une arène délimitée par les lits déplacés. Tout le monde encourageait tous les combattants sans prendre parti, le but était de faire le plus de bruit possible. Madame Hunter et Papy ne pouvaient pas nous entendre - lui c'était un peu normal, il était dur de la feuille. Enfin si mais ils ne se doutaient de rien. Toutes les nuits des dizaines de cris brisaient le silence des dormeurs effrayés. On se tordait de douleur, on agonisait, on crevait. Pas tout le monde mais la majorité. C'était un enfer. J'étais restée éveillée de nombreuses fois avec Alexandre, et je crois que c'était encore pire que de cauchemarder.
D'ailleurs... Je n'avais pas vomi ce matin en me réveillant. Et je ne me rappelais pas avoir rêvé cette nuit. C'était nouveau, et agréable bien sûr, mais autre chose aussi. Comme si on m'avait enlevé une partie de moi, arraché un membre. J'avais toujours vécu avec ça, du coup je ressentais un vide, comme si en fait je n'étais pas encore réveillée, que j'allais bientôt cauchemarder et que tout rentrerais dans l'ordre après.

Malgré les recommandations d'Evan, je me suis assise dans le lit avant de me laisser choir sur mes deux pieds - son lit était assez haut, en m'asseyant au bord je ne touchais pas le sol. J'étais d'humeur curieuse aujourd'hui, j'avais envie de fouiller dans ses affaires. Je savais pertinemment que ce n'était pas correct, mais de toute façon je n'étais pas quelqu'un de bien, j'avais tué des gens après tout. Je me suis approchée de son bureau au-dessus duquel étaient épinglées de nombreuses photos. Certaines avec sa famille, d'autres avec ses amis. Il avait l'air heureux sur absolument tous les clichés. J'aimais bien son sourire, il était franc, sans s'inquiéter de savoir s'il rendait bien ou non. Et c'était justement ça qui faisait qu'il était beau. Son sourire. Evan aussi d'ailleurs. Enfin tout ça d'après ma définition de la beauté : personne agréable à regarder pendant des heures. Pas autant que Nyx, mais plus qu'Alexandre. J'aurais pu détailler Nyx durant des heures, chacune de ses courbes, chacun de ses angles, ses cheveux, ses ongles. Tout en elle était artistique, presque poétique. Je ne lui avais jamais trouvé aucun défaut et ce n'était pas faute d'avoir essayé.

Evan était différent. Il n'était pas parfait, j'avais déjà repéré quelques 《 défauts 》chez lui.
Par exemple ses dents n'étaient pas parfaitement alignées puis l'une d'entre elles était légèrement fendue.  Celle de pas tout à fait devant mais quand même vous voyez. Ce n'était pas grand chose, une petite cassure de rien du tout qui se voyait à peine. Il avait aussi une cicatrice sur la joue droite, visible que lorsqu'il s'approchait assez près de moi. Cela lui donnait un petit air de bad boy plutôt décalé lorsqu'on voyait sa carrure. Mais j'aimais bien. Avec sa dent on aurait pu croire qu'il s'était battu. En fait je n'en doutais pas tellement. La première fois que je l'avais vu il avait tout de même une arme à la main, pointée sur moi à vrai dire. Il ne me faisait pourtant pas peur, peut-être parce qu'il n'était pas très grand. À peine cinq centimètres de plus que moi à tout casser et pourtant je n'étais pas bien haute. Un épi rebelle refusait de se fondre dans la masse de ses cheveux et dominait la foule, comme s'il voulait allonger son propriétaire. Je crois qu'en fait je préférais ça, je veux dire, ses défauts. Nyx était magnifique mais ne m'avait jamais semblé réelle. Enfin, je la regardais plus comme une oeuvre d'art que comme un être humain. Je ne m'en étais jamais rendue compte avant, mais ça me paraissait évident à présent. Immédiatement, je me suis mise à chercher tous mes défauts. J'en voulais plein, des dizaines, des centaines, des milliers, des centaines de milliers. Plus j'en aurais et mieux ce serait. Plus j'en aurais et plus je serais humaine. Et être humaine était mon voeu le plus cher. Une vraie de vraie, pas un être surhumain.

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