Chapitre 10

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« I'm in hiding, living life undercover... I'm not long for this world. »

- Si tu veux m'aider, alors commence par me dire si oui non tu as déjà fait du mal à maman et si tu en fais à Soa.

Le silence qui suivit ma phrase fût sûrement le plus long de ma vie. Le visage de mon père passa par divers expressions : l'incrédulité, l'incompréhension, la déception et pour finir la colère. Il avait ensuite enlevé sa main à grande vitesse et était sorti de la voiture, sans oublier de claquer la portière derrière lui. Je ne savais pas comment je devais interpréter sa réaction mais elle était de mauvais présages... Penaude, je le rejoignis dehors. Il verrouilla sa voiture et nous nous avançâmes dans la ville sans prendre la parole.

Nous étions à la place du village, qui me rappelait de nombreux reportages, une place où des stands s'étendaient sur toute l'allée centrale et sur les côtés se dressaient des boutiques. L'endroit était espacé comme au Texas et je me sentais bien ici. Cette ville, Mahajanga, n'était pas comme la capitale Antananarivo, composée de grands immeubles qui gâchaient la beauté du paysage. Les quelques bâtiments qu'il y avait ici ne s'élevaient pas très haut et ces derniers restaient assez rustiques, ne cassant pas avec la nature.

Mon père déambula dans les rues et ne prit même pas la peine de me faire visiter, lui qui d'habitude aimait m'expliquer tout ce qu'il savait. Il serrait encore la mâchoire et gardait ses poings fermés. Je cautionnai sa colère mais pourquoi ne me répondait-il pas tout simplement ? S'il agissait ainsi alors je faisais de même, me renfrognant davantage.

Soudain, quelqu'un surgit devant moi, la main tendue. C'était un homme plutôt âgé qui avait sans doute une trentaine d'année, il portait un t-shirt déchiré et un pantalon en toile en très mauvais état. L'intérieur de ses yeux étaient jaunis, sa peau foncée était abîmée et surprise, je reculai d'un pas. Il déballait des mots que je connaissais pas et nous regardait tour à tour. Mon père lui répondit quelque chose mais l'homme ne s'arrêtait pas de parler. Et au lieu de s'en aller, il m'attrappa le poignet alors que je restai figée. Mon père s'empara de son bras, le fixa d'un regard plus trop aimable et lui dit quelques mots, qui éloignèrent tout de suite le mendiant.

- Viens, ne restons pas là !

Il passa un bras autour de ma taille et nous prîmes une nouvelle direction. Après une dizaine de minutes, il entra dans un grand restaurant aux couleurs bordeaux et jaune. Il était très bondé et j'avais l'impression d'avoir mis les pieds dans un restaurant d'affaire : il y avait principalement des hommes en costard - cravate.

- C'est le meilleur restaurant de la ville ! M'informa mon géniteur.

Il salua les serveurs et prit place à une table isolée. Je m'assis en face de lui, tout en évitant son regard et fit semblant d'être occupée avec mon portable. Du coin de l'œil, je vis qu'il faisait de même et ça me mit hors de moi. Je ne pouvais plus tenir, je voulais des explications !

- Tu sais, je préfère encore que tu me mentes plutôt que tu évites mes questions. Proférai-je.

- Tu penses que c'est l'endroit ?

- J'aurais jamais dû venir... Cette histoire est en train de me rendre folle. Marmonnai-je.

Il se pencha par dessus la table et planta avec férocité ses yeux marrons dans les miens.

- Tu auras tes réponses, plus tard ! S'emporta-t-il. Les choses ne sont pas aussi simples, Joy.

- Je voudrais juste que tu me dises si t'es comme Nathanael, parce que je suis en train de me faire des idées et ça me fait sérieusement flipper alors pourquoi il faudrait qu'il y ait un endroit pour ça ? Dis-je de but en blanc.

Ses yeux s'agrandirent en même temps qu'il se rabattait contre le dossier de la chaise. Je n'arrivais pas à savoir s'il était en colère ou déçu.

- Si quoi ? Reprit-il. Mais qu'est-ce que tu vas imaginer ? Non !

Je roulai des yeux, plus trop sûre de devoir le croire à présent. Après la réaction qu'il avait eu, mes doutes avaient décuplés de volume mais je voyais aussi qu'il semblait avoir compris ma question seulement maintenant. Il reprit ses esprits et s'avança à nouveau vers moi, croisant ses mains sur la table. Je ne pouvais détourner le regard de ses blessures qui provenaient bien de brûlures, je le savais.

- Écoutes-moi, je n'ai jamais levé la main sur ta mère et jamais non plus sur Soamiary. Me dit-il à voix basse. Sur personne d'ailleurs ! Tu pensais que c'était quelque chose qu'il reproduisait à cause de moi c'est ça ?

Je voulais le croire, j'avais envie qu'il dise la vérité mais je devais surtout faire la part des choses et réfléchir correctement. Mon coeur battait à toute allure, animée par l'anxiété. A qui devais-je faire confiance ? Qui disait la vérité dans cette foutue famille ? Je finis par reposer mes yeux, en larmes, sur mon père qui m'observait avec contrariété et je me lançai :

- Tu peux me mentir. Soulignai-je. Je sais plus qui croire dans tout ça ! A peine je suis arrivée, j'ai constaté que quelque chose n'allait pas avec ta femme, quand je te demande ce qu'il y a, tu me dis que c'est rien et tu continues d'agir en père exemplaire devant moi et devant les petits. Et c'est exactement comme ça que se comporte Nathanael... Ses amis ne se doutent de rien non plus, c'est tellement facile de se faire passer pour ce que l'on est pas.

- Je sais ma chérie et je conçois le fait que tu te méfies. Mais comment pourrais-je te convaincre que je ne suis pas comme Nate ?

- Explique-moi pourquoi tu sortais énervé de sa chambre hier, pourquoi elle pleurait elle ; pourquoi t'as des mains dans un tel état ! Répliquai-je.

Il se mit à sourire puis fixa à son tour ses mains, il les tourna dans tous les sens comme s'il les découvrait lui aussi. Ou peut-être cherchait-il un mensonge ? J'étais devenue complètement paranoïaque, je devais me calmer.

- C'est aux serres, en voulant souder, je me suis brûlé. M'expliqua-t-il.

- J'ai dis à Caleb que ma valise m'avait échappé et que je m'étais tordue la main ! Raillai-je en levant ma main bandée.

Je lui fis clairement comprendre qu'il pouvait lui aussi mentir et que rien ne me prouvait que c'était vrai. Je n'étais pas prête à le croire aussi facilement. Le fait d'avoir affrontée Nathanael un bon nombre de fois me rendait plus courageuse devant des personnes comme mon père, ma mère ou quiconque m'énervait. Je me disais qu'il n'existait pas pire que mon frère, alors personne d'autre que lui ne me faisait peur.

- Une dizaine de personnes était là, dont Gabin ! Et tu sais, il n'est pas du genre à mentir. C'est bon ma fille a terminé l'interrogatoire ?

C'était étrange car il agissait avec tant d'aisance alors que j'étais en train de l'accuser d'être un homme violent ! Au lieu de s'empresser de me prouver le contraire, il essayait d'échapper au sujet et tentait des moqueries ridicules.

- Non, tu ne m'as répondu pour Soa !

Il perdit son sourire et échappa à mon regard. Peut-être que mon père n'était pas le modèle de Nathanael, peut-être qu'il était bel et bien l'homme gentil qu'il montrait, mais il cachait quelque chose. Et ce avec la femme qu'il avait eue, et celle qu'il avait en ce moment !

- Nous... traversons un moment difficile. Argua-t-il.

Je ricanai avec sarcasme, à la manière de mon frère, me surprenant moi-même et tournai le regard.

- Tu l'as déjà dit ça, papa. Marmonnai-je.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Joy ? Demanda-t-il désespéré. Ce sont des choses personnelles. J'ai bien le droit à mon intimité non ? Je suis ton père, je vais pas me mettre à te raconter mes problèmes comme à un vieux copain.

Je baissai la tête, n'ayant plus le courage dorénavant de le regarder. Il pouvait dire un mensonge, tout ça ne pouvait être qu'une manière d'effacer mes soupçons mais je tendais à le croire. Je continuerai de faire attention, tout en étant discrète, mais je devais arrêter d'être sur mes gardes. Il avait raison après tout, il y avait bien des choses que j'étais pas en droit de savoir tout comme lui ne connaissait pas tout de ma vie personnelle. Je m'étais sans doute emportée...

- Je sais que tu doutes, que tu as peur mais tu peux me faire confiance à moi. Continua-t-il. Et si tout ce que je t'ai dis ne te convient toujours pas, y'aura d'autres moyens de te le prouver ! Tu la verras en maillot de bain, tu remarqueras qu'elle n'a aucune marque sur le corps. Tu verras que... c'est ma femme et je l'aime. Tout comme je t'aime toi ou ou comme j'aime mes trois garçons, et je ne pourrai jamais vous faire de mal. Je voudrais pourtant bien être capable d'en foutre une à Nathan, parce que je suis plus qu'en colère contre lui mais la vérité est que j'en suis même pas capable.

Je relevai finalement mes yeux sur lui et remarquai qu'il n'osait pas me regarder non plus. Sa voix était devenue plus rauque et j'avais capté dans ses yeux, une lueur étrange. Une lueur toujours située encore la haine et la tristesse. Il disait la vérité, alors je lui donnais le bénéfice du doute. Il n'était pas comme Nathan, d'accord, mais il était peut-être toujours celui qui avait causé ce comportement ? Il me restait seulement à savoir ce qu'il avait fait à ma mère pour qu'elle le chasse ainsi. Pour qu'elle l'éloigne de ses enfants et nous prive de l'éducation d'un père...

- Joyce ?

J'allais répondre quelque chose mais l'arrivée d'un serveur me coupa dans mon élan. Il se mit à parler avec mon père, qui avait reprit un sourire trompeur. La conversation dura sans que je n'y comprenne un mot et j'en profitai pour l'observer. Je ne savais pas si je préférais le comportement franc de Nathanael, qui n'avait peur de me dire ou faire quoique ce soit, ou celui caché de mon père. Enfin je pensais ne pas savoir... Mais au fond, de moi, tout était clair. Je préférais la vérité qui faisait mal plutôt que le mensonge apaisant. Telle était la raison pour laquelle j'agissais autant pour Nathan et que je ne me contentais pas d'ignorer comme ma mère le faisait.

***

Ce moment avec mon père n'avait pas été davantage enrichissant dans les heures qui avaient suivies, nous nous étions limités à traiter de sujet " normaux ". Histoire d'oublier le grand côté noir de notre vie, enfin de la mienne. Il m'avait proposé son aide mais j'avais la nette impression que mon père ne pouvait finalement rien faire pour moi, il ne faisait plus partie de la famille. Il n'avait aucune influence sur Nathanael, j'étais la seule à être capable de changer la donne. Dans mon propre intérêt et celui de mon grand frère, bien qu'il n'en ait pas conscience.

Trois jours étaient passés et je n'avais toujours eu aucune nouvelle ni de Caleb, ni de Nathanael. J'en concluais que c'était une bonne chose, rien ne devait se passer là-bas. Autrement j'aurais déjà eu droit à un message ou un appel colérique de l'un d'eux. Et avec mon père, les choses n'avaient pas avancées non plus. Il m'avait promis de me dire de toute manière, alors j'attendais et je profitais de mes vacances en compagnie de mes demis-frères.

J'étais justement avec eux en ce moment. Ils s'agitaient dans la piscine tandis que je les surveillai, sous l'ordre de mon père et Soa qui étaient partis depuis une heure. Je servais en quelque sorte de baby-sitter pour l'après-midi. J'étais contente car leur présence me permettait de penser à autre chose.

- Gabin ! S'écria Jery, appuyé sur le rebord de la piscine.

Ses boucles mouillées retombaient sur tout son visage et je me demandais comment il avait bien pu voir le fameux Gabin. Au moment où je tournais la tête, je vis la silhouette de l'homme plonger dans la piscine. Sous sa masse imposante, l'eau se plia et se transforma en vagues assez puissantes pour mes demis-frères. La vision de Judd levant les bras comme dans un manège m'arracha un sourire.

- Joyce, t'as vu ? J'ai faillis décéder ! Me lança le plus petit, toujours accroché au bord.

Jery était encore plus amusant que son frère, toujours prêt à vivre de nouvelles expériences et surtout maître d'une imagination débordante. Tout était aventure à ses yeux !

- Une chance que tu sois fort ! Rigolai-je.

- Mais ça c'est parce que je suis un Lewis, papa me le répète tout le temps.

Et oui, les Lewis étaient malheureusement très forts... Trop forts. Gabin remonta enfin à la surface et secoua sa tête dans tous les sens à l'instar d'un chien. Il plongea dans l'eau et réapparut quelques secondes plus tard, aux côtés de Jery. J'étais juste en face d'eux, sur mon transat et les observai parler en français. Décidément tout le monde avait décidé de m'éloigner de leur conversation ! Il posa ses mains sur les dalles en marbre et se redressa, me dévoilant au passage un torse parfaitement sculptée. Encore plus que celui de Caleb ! Ses cheveux déjà longs en temps normal, tombaient désormais sur ses épaules. Sous le poids de l'eau, ils étaient devenus lisses et c'était à son avantage. Quand j'eus finis mon observation, je remarquai qu'il me fixait avec attention.

- Tu ne viens pas ?

Je trouvais même que son accent pitoyable était adorable.

- Mmh, non. Je ne peux pas ! Déclinai-je en désignant ma main blessée.

- Tu peux la garder en dehors. Argua-t-il.

- Non mais je préfère rester ici de toute manière, je dois faire attention aux petits.

- Je suis là, il ne peut rien leur arriver.

Je roulai des yeux, il n'était pas prêt de lâcher l'affaire ! Face à mon air agacé, il parût lui aussi agacé et partit rejoindre Judd à l'autre bout de la piscine. Je sentais toujours un regard posé sur moi et ce n'était autre que Jery, au même emplacement. Il avait croisé ses bras sur le bord, avait posé sa tête dessus et me contemplait comme s'il regardait la télévision.

- Il va te détester ! Me lança-t-il, assez bas.

- Pourquoi ? M'indignai-je.

- T'as refusé son invitation, il croit que t'es méchante.

J'avais oublié un instant que je faisais face à un autiste mais même si je m'en étais souvenue, mon avis n'aurait pas changé ! Je n'allais pas montrer mes cicatrices simplement pour ne pas le vexer ou l'énerver. Il finirait par comprendre que je n'avais pas dit ça contre lui.

La sonnerie de mon portable me coupa de ma contemplation, je m'empressai de rentrer dans le salon. Lorsque mes yeux se posèrent sur le prénom Nathan qui s'affichait à l'écran, mes mains se mirent automatiquement à trembler sans relâche. Je décrochai avec beaucoup d'appréhension :

« Joyce... » Supplia une voix étriquée.

« Nate ? Qu'est-ce qu'il y a ? »

A la place d'une réponse précise, je n'entendis que des grognements de sa part. J'avais l'impression qu'il essayait de se contenir, c'était sûrement le cas. Mais avait-il déjà fait quelque chose ou s'apprêtait-il à le faire ?

« Parle-moi, dis un truc ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu vas bien ? »

« Oui, enfin...Non. Je sais pas. »

J'avais envie de lui hurler d'enfin me dire ce qu'il se tramait à l'autre bout du monde, de son côté. Cette situation en plus de me faire peur, me mettait hors de moi.

« Nathanael, dis moi quelque chose de clair s'il-te-plait. » Sifflai-je les dents serrés.

« Reviens, reviens... »

Il respirait de plus en plus fort, accélérant aussi mon souffle. Sa supplication, sa voix triste, avaient provoqué de longs frissons le long de mon corps. Quand il me parlait de la sorte, j'étais prête à tout faire pour lui.

« Quoi ? Mais... Qu'est-ce que tu as, Nathan ? »

« Pourquoi t'es partie, Joy ? »

« On a déjà eu cette conversation, tu me le demandes à chaque fois. »

Il y eut encore un gémissement de douleur, cette fois plus fort, mais qu'il s'empressa d'étouffer.

« Tu ne m'as cité aucunes bonnes raisons... » Chuchota-t-il.

« Si. Je voulais voir papa, c'est une raison assez suffisante. »

« Parce qu'il passe avant moi ! » Hurla-t-il. « Quand tu n'es pas là, il n'est jamais seul lui alors que moi... Tu m'as laissé ! »

Je balbutiai plusieurs choses incompréhensibles, incapable de dire quoique ce soit à cause de ma gorge qui se resserrait peu à peu. Il était hors de lui à nouveau, et je savais que bientôt il mettrait fin à notre discussion. J'entendais dans sa voix qu'il me détestait, non parce qu'il avait besoin de moi, mais seulement parce que je lui avais désobéis. Et ça me faisait mal de le constater.

« Tu m'as laissé avec maman qui s'est transformée en ivrogne et qui batifole avec son mec sous mon toit ! »

Si je disais que mon frère s'était approprié la maison c'était peu dire. Il pensait être le chef, étant le seul homme. C'était chez lui et nous devions suivre ses décisions. Mais à l'instant ça ne m'importait peu car tout ce que je retenais était le comportement de ma mère. Elle osait ramener son copain à la maison, malgré la présence de Nathan ? Ne connaissait-elle pas sa colère ?

« Et je vais pas laisser passer ça. »

« Nate, attends ! Qu'est-ce tu comptes faire ? »

« Ça ne te regarde pas. » Rétorqua-t-il.

Il avait arrêté d'émettre des bruits désagréables, il avait reprit sa voix menaçante. Le mauvais Nathanael était de retour et je ne pouvais rien y faire.

« P-pourquoi tu m'as appelé alors ? » Bredouillai-je.

« Je sais pas. J'ai pensé que tu serais utile pour une fois mais en fait, tu es aussi conne que ta mère. »

Il raccrocha et me laissa à l'autre bout du combiné avec des tonnes de questions, qui auraient leur réponse plus tard. Ça me mettait en colère et non contre lui, mais contre moi. Il m'avait appelé pour que je l'aide, que je le rassure et l'empêche peut-être de se laisser surpasser par la colère pourtant je n'en avais pas été capable. S'il ne pouvait pas compter sur moi alors sur qui pouvait-il le faire ?

Je m'appuyai sur le mur au fond du salon et fermai les yeux, essayant de me calmer. J'étais arrivée au summum du désespoir, je ne pouvais rien faire, hormis attendre. Attendre de savoir enfin ce qu'il avait fait. L'appeler ne servirait à rien il ne répondrait pas et je ne pouvais prévenir ma mère de quoique ce soit, car je n'avais aucune idée de ce qu'il préparait. J'imaginais que s'il faisait du mal à quelqu'un ce serait au copain de ma mère... C'était sans doute cruel de penser ainsi, mais je ne pouvais m'empêcher d'estimer qu'il le méritait et que ça ne ferait que repousser ma mère dans le droit chemin. A quoi jouait-elle ? Pourquoi faire tout ça ? Je la détestais de plus en plus. Elle était plus occupée à s'enfoncer au lieu de l'aider, au lieu de nous aider. Quelle mère pitoyable !

Nous étions seuls pour surmonter ça, non j'étais seule face à Nathanael car en réalité il ne pouvait pas grand chose pour lui. Tout se passait dans sa tête, il était à la fois le coupable et la victime. Et son état avait l'air de l'affecter autant qu'il m'affectait moi... Si j'en étais pas encore sûre quelques années plus tôt, j'en avais à présent eu la preuve avec ses appels de détresse. Deux fois il m'avait appelé, deux fois pendant lesquelles il semblait paniqué et surtout il semblait perdre le contrôle. Quand j'étais auprès de lui, ça ne lui était jamais arrivé alors pourquoi maintenant ? Et comment pouvais-je réellement l'aider à se calmer ?

- Jery m'a dit que tu étais en colère contre moi. S'exclama une voix grave.

J'ouvris subitement les yeux, reconnaissant Gabin. Il était assis sur le comptoir, enveloppé dans une serviette, toujours sur le même siège, et s'amusait avec l'objet qu'il avait dans les mains. Il ne me regardait pas et se contentait de fixer cet objet, les sourcils fronçés. Je souris face à sa réaction peu commune et m'avançai à petits pas, alors que mon coeur commençait déjà à s'apaiser. Il n'avait même pas vu que j'allais mal et que c'était sans doute le mauvais moment pour me parler, il avait l'air de s'en foutre. Je passai dans la cuisine et me postai un peu plus loin, en face de lui.

- Je ne le suis pas.

C'était marrant parce que Jery m'avait dit aussi que Gabin n'apprécierait pas la manière dont je m'étais comportée. Ça ne m'étonnerait pas d'apprendre qu'il avait fait exprès de nous dire la même chose à tous deux.

- Kenneth m'a offert cette balle en mousse. Commença-t-il.

Je dirigeai mon regard vers ses mains et vit qu'il était en train de serrer une petite balle rouge dans une main puis s'empressait de la mettre dans son autre main et de la serrer encore une fois. Et ce, sans s'arrêter.

- Il m'a dit qu'à chaque fois que je suis en colère ou que j'ai peur, je dois la serrer de toutes mes forces. Et il m'a dit de ne jamais la donner mais je veux bien te la prêter un peu...

Je souris franchement car j'avais devant moi un homme plus qu'aimable. Je comprenais pourquoi mon père l'adorait ainsi. Il avait quelque chose de pure et d'apaisant. Il avait l'air de considérer les choses avec tant de simplicité que j'en venais même à croire dorénavant qu'en serrant cette balle, je me calmerai moi aussi. Il leva des yeux timides sur moi et me la tendit doucement.

- Merci. Glissai-je en avançant.

Quand j'attrapais la balle et frôlais au passage ses doigts, il retira sa main vivement. Je m'assis devant lui fermai ma main autour de la balle, qui était plus dur à serrer qu'elle n'y paraissait entre ses mains à lui. Soudain, j'entendis le cris d'un des petits dehors et sautai sur mes pieds.

- T'as laissé les petits seuls ! M'affolai-je.

Gabin me regarda avec de grands yeux faire le tour du bar et me diriger vers le jardin.

- Mais ils ne sont pas dans la piscine ! Affirma-t-il.

Malgré son exclamation, je passai la baie-vitrée pour découvrir les deux garçons qui se couraient derrière dans le fond du jardin. Très loin de la piscine... En effet il n'y avait pas vraiment de quoi s'inquiéter. Je les conviai cependant à l'intérieur et entrai à nouveau. Je retournai dans la cuisine, après avoir déposa la balle de Gabin devant lui.

- Alors ?

- Alors, ça ne marche pas sur moi. Dis-je en m'occupant du gouter des petits.

- Mais Kenneth ne m'a pas menti... Se lamenta-t-il.

Je lui fis face et captai le regard triste qu'il possédait dorénavant. J'avais le même sourire que mon père quand il parlait de lui, un sourire amusé et attendris... Car le comportement de Gabin était attendrissant !

- Il ne t'a pas menti. Seulement, il te l'a bien donné à toi pour une raison. Ça ne fonctionne qu'avec toi, voilà pourquoi il t'a dit de ne pas la donner à quelqu'un d'autre. Concédai-je.

Il retrouva son léger sourire et hocha la tête. Mon interprétation inventée de toute pièce avait l'air de lui plaire et ça me suffisait, du moment qu'il ne se vexait pas.

Judd et Jery arrivèrent en courant. Le plus grand vint me rejoindre pour s'asseoir de l'autre côté du bar et l'autre prit place près de Gabin. Ils se remirent à parler en français, à rire et à surtout mettre le malgache à l'aise car ce dernier avait cessé de s'en prendre à sa balle.

- Au fait, Jery... Lançai-je. La prochaine fois, t'éviteras d'inventer des petits mensonges.

Il me lança un sourire, dévoilant ses quelques dents d'enfant, puis ferma la bouche et passa ses doigts dessus, comme l'on fermait une fermeture. Je levai les yeux au ciel alors que Judd m'harcelait déjà pour savoir ce que son jeune frère avait dit. Je leur servis à manger pour qu'ils se taisent enfin et peu de temps après, mon père et Soamiary arrivèrent.

- On voit que vous vous débrouillez bien sans nous ! Vous formez une belle petite famille. Plaisanta mon père.

Derrière lui, suivait sa femme souriante qui portait aujourd'hui une robe plus courte que les autres. Je pouvais voir ses bras et ses jambes parfaitement intacts, d'une sublime peau foncée. Je ne savais pas si mon père avait fait exprès pour me prouver son " innocence " mais il avait réussi.

- Joyce, ça va ? Questionna-t-il en interceptant mon regard.

J'eus à peine le temps d'ouvrir la bouche que Gabin le fit à ma place :

- Elle est en colère. La balle n'a pas marché !

Mon père éclata de rire face à cette remarque naïve puis m'examina avec attention. J'entendais aussi le rire de Judd et Jery près de moi, ils étaient semblables à mon père !

- C'est que ça doit être assez grave alors, si même la balle n'a pas fait effet. Annonça-t-il. Tu viens ?

Sans rien dire de plus, je le suivis en direction de sa chambre. Nous nous asseyâmes côte à côte sur la banquette devant le lit. A cet instant, je me remis à penser à ma mère. Parmi ma colère, je décernai aussi de la tristesse, du moins de la préoccupation. Pourquoi continuais-je de me soucier de personnes qui eux n'en avaient rien à faire de moi ? Je me disais que même si mon père n'avait pas levé la main sur elle, il avait quand même bien fait quelque chose d'important pour qu'elle se comporte comme ça.

- C'est encore Nathan ! Crût-il deviner.

- Non, c'est maman cette fois. Confiai-je d'une voix basse. Elle ne m'aime pas...

- Qu'est-ce que tu racontes ?

Il se pencha vers moi, le front marqué par des plis. J'avais sans doute l'air minable car dès que ses yeux se posèrent sur moi, il passa un bras derrière mon dos et me serra contre son épaule. Je n'avais plus la force de poser des questions, d'essayer de comprendre, je voulais juste pleurer, hurler, donner des coups... Laisser ressortir toutes ces émotions que je gardais en moi, juste pour faire semblant devant les gens, juste pour paraître bien. J'avais beau mentir aux autres, je ne pouvais me mentir à moi-même. Peut-être qu'en essayant d'aider mon frère, je provoquais mon malheur à moi.

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Un chapitre étrange qui ne me satisfait, ni ne me déçoit. Je précise juste que le comportement de Nate à ce moment est important... Si ça peut aider certains ou en perdre d'autres, tant mieux ahah. J'espère que ça vous aura plu ! :)

Let it burnWhere stories live. Discover now