Chapitre 14

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-Ivy, tu te dépêches, un peu ?

La voix stridente de ma mère retentit depuis le rez-de-chaussée. Je laisse échapper un long soupir avant de lisser mon jeans, par pur réflexe, et descends les marches de l'escalier. Elle est déjà prête et m'attend de pied ferme dans le hall, ses yeux lançant des éclairs. Cette réunion avec madame Glars, la proviseure, ne l'enchante pas plus que moi, je suppose.

-Allez, on y va, dit-elle d'une voix froide. Tu as intérêt à bien te tenir.

Sa menace me fait à peine tiquer. Je la suis alors qu'elle sort dans l'allée de notre demeure, les gravillons blancs crissant sous mes pas lents. J'aurais préféré que mon père m'accompagne à cette rencontre avec la proviseure, plutôt que ma génitrice. Lui, au moins, aurait pu calmer la tension qui risque de régner dans la pièce. J'imagine déjà les remarques assidues que ma maternelle va me faire, lors de cette entrevue, et cela provoque un frisson le long de mon dos.

Je tente d'ignorer la boule d'angoisse qui a pris place dans mon ventre et expulse longuement l'air de mes poumons afin de faire redescendre la pression. Je n'ai pas de raison d'avoir peur, après tout. J'ai mérité cette réunion entre la directrice du lycée et ma mère. Je devrais en être fière, en réalité : j'ai réussi à pousser ma maternelle à bout, à peine quelques semaines après la rentrée. Cela dépasse mes espérances ; je me suis surpassée.

Pourtant, une petite voix résonne dans ma tête, me criant que ce que j'ai fait est mal, que ce n'est pas mon genre, de réagir de cette manière. Je la chasse immédiatement, les dents serrées. L'ancienne Ivy, la fillette sage, qui révisait ses leçons tous les soirs et n'avait que de bonnes notes, n'existe plus. Elle a été remplacée par une autre personne, plus forte et plus indépendante. Et elle ne reviendra jamais.

Le lycée est désert lorsque nous entrons, en raison de l'heure tardive. Même les professeurs et les agents d'entretien ont dû rentrer chez eux, à présent. Les lumières automatiques s'allument sous notre passage, tandis que le claquement sec des talons aiguilles de ma mère se répercute dans l'espace que nous occupons.

La porte du bureau de madame Glars est ouverte lorsque nous arrivons. Je marque un temps de pause alors que ma maternelle toque malgré tout, par politesse.

C'est maintenant que tout va se jouer. Vais-je en ressortir vivante ? Elle risque de me tordre le cou lorsqu'elle entendra la directrice exposer tous mes pas faits de travers. Une grimace crispe mon visage, et je m'efforce de respirer longuement pour ne pas laisser le doute et la peur m'envahir. Être anxieuse ne m'aidera en rien.

-Bonjour, madame McBlair, nous salue la vieille femme.

Elle porte aujourd'hui un pull en laine violet, accompagné d'un rouge à lèvres d'un pourpre trop éclatant pour sa bouche fine. Je me mords la lèvre inférieure afin de ne pas laisser échapper une remarque sur son style... peu à mon goût, et entre dans l'office, à la suite de ma mère.

-Assieds-vous, je vous prie, commande la proviseure d'une voix grave.

Je m'installe confortablement dans la chaise qui m'est assignée. Un regard noir de ma génitrice me force à me redresser, et j'adopte à contre cœur la même position qu'elle : les genoux collés, les mains sur les cuisses, le dos droit, le menton levé.

Au secours.

-J'imagine que vous savez pour quelle raison vous vous trouvez ici, madame ? interroge Glars.

J'entends la langue de ma mère claquer contre son palais, d'un son si imperceptible qu'il n'y a que moi qui puisse l'entendre. A en juger par le regard hautain qu'elle porte sur la directrice, elle ne l'apprécie pas.

HOMELESS (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant