Lettre du 12 mars 1937

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12 mars 1937

My love,

Je viens juste de terminer de lire ta lettre et je te promets que la prochaine fois que j'aurai à t'annoncer ce genre de nouvelle j'irai au plus court pour t'épargner. Merci d'avoir pris le temps de la lire en entier et d'avoir pris la peine d'essayer de m'apporter des réponses. Mais tu as tort, Louise n'est pas venue chercher refuge en France à cause de la situation dans son pays, mais vu l'état actuel des choses, cela aurait très bien pu être possible.

Elle a passé trois jours entre sommeil et délire avant de reprendre réellement conscience et aujourd'hui elle va mieux. Elle est encore faible mais la fièvre n'est plus qu'un lointain souvenir et, malgré une toux persistante, je pense que nous pouvons dire qu'elle est guérie.

Après quelques temps, je dirais une bonne heure, de silence obstiné elle a fini par se décider à parler. Elle le fit du bout des lèvres avec un air d'enfant boudeur — je crois qu'elle avait un peu honte que la supercherie ait été découverte — et commença par me confirmer son prénom, Louise, auquel elle avait juste eu à enlever le « e » pour devenir un garçon.

Contrairement à moi elle ne s'embarrassa pas de digressions et ne se perdit pas avant même d'avoir entamé son récit. Elle me raconta son enfance dans un orphelinat catholique dirigé par des religieuses qu'elle ne portait pas dans son cœur ; il suffit de voir comment sa bouche se plissait à chaque fois qu'elle les évoquait. Au départ, il avait été prévu pour accueillir les enfants dont les parents furent tués durant la guerre mais il finit par accueillir tout bébé laissé devant sa porte. Ce fut le cas de Louise. Elle n'a jamais su qui étaient ses parents ni pourquoi on l'avait déposée là.

J'ai voulu m'excuser, c'est ce que l'on fait généralement dans ces cas-là même si l'on sait que l'on y est pour rien et que cela ne changera rien, mais au lieu d'un triste « merci » elle m'a répondu par un regard étonné ainsi qu'un froid discours, je n'ai pas réussi à savoir si c'était ou non une façade, m'expliquant à quel point c'était inutile et qu'elle n'avait rien à faire de ses parents.

Elle passa beaucoup de temps sur son enfance mais sans jamais se lancer dans un monologue interminable.

Entre deux cuillères de soupe elle me raconta la froideur des religieuses, les prières du matin dans le froid de la chapelle et les prie-Dieu faisant mal aux coudes et aux genoux. Profitant d'une accalmie dans ses quintes de toux, elle m'expliqua les cours de littérature, les lectures de la Bible durant les cours de couture et l'apprentissage des tâches ménagères. Alors que Josef l'auscultait, elle en profita pour parler des sciences, des quelques cours de calcul et de tout ce qu'on ne lui avait pas appris, la chimie et ses éprouvettes, la biologie et ses dissections et la physique et ses atomes. Elle en parlait avec des yeux brillants de petite fille.

Et puis, alors que les cloches de Notre-Dame sonnaient un mariage, elle me parla du Choix. Parce que les petites filles grandissent et deviennent des jeunes femmes elles ne peuvent pas rester éternellement à l'orphelinat, et elles ne peuvent pas non plus être jetées seules dans le monde, il leur faut décider : le mariage ou les ordres.

Oh, bien sûr, elle pouvait aussi choisir de partir, personne ne les en empêcherait mais alors il risquait de leur arriver des choses, le genre de mésaventures arrivant à toute jeune fille s'aventurant dans le monde sans un père, un frère ou un mari pour les protéger.

Tu aurais dû la voir lorsqu'elle prononça ce mot, « choses ». Avec son nez plissé et son air apeuré elle ressemblait à ma sœur affirmant que quelque chose allait lui arriver si elle ne finissait pas ses légumes. Une enfant ayant peur d'un croque-mitaine, voilà qui j'avais en face de moi.

Hymne à nos masquesWhere stories live. Discover now